La toux s’en va souvent comme elle arrive, mais nous en sommes presque toutes et tous affectés chaque année au retour de la saison froide. Sèche ou grasse, passagère ou persistante, mais toujours désagréable, elle entrave la respiration et gâche parfois notre sommeil. Les animaux n’en sont pas épargnés. En particulier ceux que nous côtoyons depuis la nuit des temps: chiens, vaches, porcs, moutons et surtout les chevaux, également atteints par les virus et bactéries propres au refroidissement. Le présent article se penche sur une médecine médiévale partagée par les humains et les animaux.
La formule suivante était censée traitée la toux au bas Moyen Age. Il s’agissait de concasser des noyaux de cerises pour les mélanger avec du vin vieux, ce qui devait soigner la toux tenace, mais aussi remédier à «l’oppression du cœur». Pour une toux sèche, il fallait plutôt découper des racines de consoude en tranches que l’on disposait sur un tison ardant pour «en aspirer la fumée par la bouche jusqu’à sudation». Inhalations, fumigations et décoctions étaient donc déjà des remèdes réputés au Moyen Age, préparés à base d’ingrédients que l’on trouvait chez soi et au jardin.
Les formules de cette pharmacopée rudimentaire figurent dans de nombreux recueils du bas Moyen Age. L’un d’entre eux est un manuscrit de médecine à l’apparence modeste datant des années 1460, qui se trouve aujourd’hui dans la bibliothèque centrale de Soleure. Il contient notamment plusieurs formules contre la toux au folio 149r. L’observation attentive révèle une référence à cette affection («V Huosten») en haut à droite du folio, annotation vraisemblablement destinée à faciliter l’orientation dans cet ouvrage.
On peut aujourd’hui s’étonner que les remèdes contre la toux de ce manuscrit pouvaient être prescrits autant aux êtres humains qu’aux chevaux. Seule l’entame d’un nouveau paragraphe signalée par la première lettre en rouge de la mention «Ci-après se trouvent de nombreuses et bonnes préparations pour les chevaux» marque une quelconque différenciation. C’est ainsi que les chevaux atteints d’asthme et de toux se voyaient administrer un breuvage composé de vinaigre, de vin et de sel.
Lorsque le cheval souffrait d’un problème de vessie, on lui faisait avaler de la buglosse officinale (Anchusa officinalis), plante utilisée aujourd’hui encore pour soigner les humains comme les animaux. Bien qu’elle soit considérée comme toxique, on a confirmé l’efficacité de certains de ses principes actifs et ses propriétés émétiques.
Au Moyen Age, nombre de détentrices et détenteurs de chevaux et autres animaux de trait connaissaient bien les maladies et infirmités dont leurs bêtes pouvaient souffrir et aspiraient à une guérison rapide de leurs maux, comme en témoignent de nombreux manuscrits traitant des soins aux chevaux figurant dans les bibliothèques et archives de Suisse. Il ne s’agit pas de la littérature spécialisée que nous connaissons aujourd’hui pour la médecine vétérinaire, mais très souvent de textes empiriques révélant un large intérêt pour la façon de s’occuper des chevaux, ainsi qu’une somme de connaissances pratiques sur la santé humaine et animale.
La pharmacopée ménagère s’avère inefficace contre les vers. Pour une société fortement imprégnée de christianisme comme celle du bas Moyen Age, il existait un remède miracle au sens propre du terme: la providence divine, illustrée par les formules magiques de Mersebourg, certainement parmi les plus anciens textes en vieux haut allemand encore conservés depuis le 9e siècle. On y trouve, entre autres, une incantation pour guérir la patte d’un cheval. A cette époque, de plus en plus marquée par la foi chrétienne, on pensait que Dieu ayant façonné toutes les créatures vivantes, il pouvait aussi opérer une influence sur leur corps et leur santé. C’est ainsi que l’on trouve une bénédiction contre les vers dans un livre de prières des bénédictines d’Hermetschwil.
Aucune herbe ne pouvait combattre les parasites installés essentiellement dans l’estomac et les intestins de leurs hôtes. La bénédiction des sœurs d’Hermetschwil constituait le moyen de les éliminer, pour autant que l’on suive à la lettre certaines instructions très précises. Il fallait d’abord écrire des mots magiques sur un long ruban de papier.
Ces incantations obscures mélangeaient du pseudo latin «Iob thonsa an nubya» à des fragments de prières en latin véritable «sanctte deus qui est trinus et unus» (Seigneur Dieu qui est unique et Trinité) et des dessins représentant la croix. On fixait ce document censé représenter un ver sur la partie du corps infestée. Les instructions se terminent sur une remarque indiquant que la bénédiction du ver est efficace pour tous les êtres, humains et animaux confondus.
Pour la société du Moyen Age, la différence entre médecine humaine et vétérinaire comme nous la connaissons aujourd’hui n’avait que peu de sens, car il n’y avait pas de séparation nette entre l’homme et l’animal, du moins dans notre région. En effet, les connaissances médicales et empiriques étaient soumises au préjugé créationniste voulant que les forces macrocosmiques de l’univers (étoiles et planètes) opèrent une influence sur les microcosmes. Le macrocosme d’essence divine était réputé agir sur tous les corps, humains et animaux, justifiant une congruence des médicaments et mesures thérapeutiques.
Si l’on se penche sur les substances utilisées pour la préparation des médicaments, on remarque qu’il s’agissait très souvent d’ingrédients du quotidien: vinaigre, vin, sel, ail, plantes du jardin et autres. Outre les végétaux, on avait souvent recours à des composants métalliques comme le mercure ou le vert-de-gris ainsi qu’à des substances d’origine animale. Certaines recettes étaient ainsi additionnées de miel, voire d’escargots ou de crapauds. En ce sens, la médecine médiévale reflète l’histoire partagée de la santé des humains et des animaux, mais combine aussi remèdes terrestres et croyances célestes.