Soudain, un coup de feu suivi d'un voile rouge lance une nouvelle aventure du plus célèbre des agents secrets: Bond, James Bond. Intrigues, paysages spectaculaires, méchants et gadgets ont fait la recette de la plus ancienne franchise du cinéma. James Bond parcourt le monde au gré de ses missions au service de Sa Majesté et les réalisateurs ont compris, dès 1962, l'intérêt du public pour les voyages de l'espion.
Mais les lieux de tournage, souvent sélectionnés sur des critères esthétiques, ne correspondent pas toujours aux lieux des scénarios. Partons sur les traces de l'espion le plus célèbre du monde pour une enquête géologique.
...mais en Thaïlande! Dans L'homme au pistolet d'or, sorti en 1974, le repaire du tueur à gages Francisco Scaramanga, interprété par Christopher Lee, est une île somptueuse. Elle se situe soi-disant en mer de Chine du Sud. Or, l'île de Scaramanga est en fait... L'île Khao-Phing-Kan, située en Thaïlande, au nord de la baie de Phang Nga, à plus de 2000 kilomètres au sud-ouest!
Alors que la côte de Chine méridionale où est censée se dérouler l'histoire de l'homme au pistolet d'or est principalement composée de granites et de roches volcaniques datant du Jurassique au Crétacé, avec peu de roches sédimentaires, l'île de Scaramanga est iconique pour son piton calcaire - sédimentaire, donc - qui émerge de l'eau.
L'île est un des nombreux pitons calcaires, érodés autour de leur base et recouverts de végétation de la région: l'ensemble, absolument remarquable, évoque une forêt d'arbres de pierre flottant sur la mer. Ce calcaire a été déposé au fond d'une mer peu profonde il y a environ 270 millions d'années, au Permien.
La particularité de la baie de Phang Nga est d'être structurée le long de l'importante faille de Khlong Marui, toujours active, et témoignant d'épisodes tectoniques majeurs au cours des temps géologiques (collision indosinienne, puis himalayenne). Lors de ces collisions, les roches se sont déformées, créant des plis et des failles, ce qui facilite l'infiltration des eaux de pluie au sein du calcaire. Celui-ci se dissout peu à peu, ce qui conduit à un paysage «karstique» remarquable avec ses grottes et pitons.
Rien à voir, donc, avec les roches de la côte de Chine du Sud?
Dans Spectre (2015), bien que l'action se déroule au Maroc tout comme les prises de vue réelles, l'interprétation géologique faite du repaire du cynique Ernst Stavro Blofeld (Christopher Waltz), n°1 de l'organisation terroriste a de quoi heurter la sensibilité du géologue!
En effet, la base secrète qui sera totalement détruite par 007 se veut être construite au sein d'un ancien cratère de météorite - le corps céleste fait d'ailleurs l'objet d'une pièce dédiée dans le film et est présenté à James Bond (Daniel Craig) et Madeleine Swann (Léa Seydoux).
Le lieu de tournage correspond au massif de Gara Medouar (ou Jebel Mudawwar), un relief isolé en fer à cheval au sud-ouest d'Erfoud dans l'Anti-Atlas oriental. Mais rien à voir avec un astroblème (témoin d'un ancien impact de météorite) ou même un cratère volcanique! Il s'agit tout simplement d'une forme d'érosion au sein d'une pile d'anciens sédiments marins déformés par un pli, où les flancs s'inclinent de part et d'autre pour former une dépression concave (les géologues parlent de pli synclinal).
Plus précisément, le massif constitue l'endroit où la courbure du pli est maximale (la charnière) et recoupe la surface topographique (la surface de la terre, donc). En géologie, il s'agit d'une terminaison périclinale.
Cette géomorphologie sert de gouttière aux eaux de pluie qui accentuent la forme en fer à cheval. Les roches armant le relief, car plus résistantes à l'érosion, sont des calcaires gris à goniatites (des fossiles d'animaux proches des ammonites) âgés du Dévonien moyen (environ 388 millions d'années) et surmontant des argiles grises à bleutées riches en orthocères (des céphalopodes) âgées du Dévonien inférieur (entre 393-408 millions d'années). Les forces telluriques exprimées au cours des temps géologiques, ainsi que le pouvoir d'érosion des eaux tombées du ciel, sont la clé de compréhension de la forme de cette curiosité géologique désormais célèbre.
Rien à voir avec un épisode cataclysmique donc, quoique? Lors du tournage de Spectre (2015), la scène de la destruction de la base secrète a nécessité près de 70 tonnes d'explosifs inscrivant un temps au Livre Guinness des records cette explosion comme la plus importante de l'histoire du septième art, record toujours détenu par la saga dans Mourir peut attendre (2021) avec...136 tonnes d'explosifs!
Dans Moonraker (1979), James Bond (Roger Moore) affronte dans une scène mémorable Requin (Richard Kiel), l'homme de main aux dents d'acier de l'industriel mégalomane Hugo Drax (Michael Lonsdale).
Le duel se déroule dans et sur le téléphérique du Pain de Sucre à Rio de Janeiro, au Brésil. Un paysage iconique dans l'une des plus belles baies du monde. Le Pain de Sucre (Pao de Açúcar en portugais) est depuis 2022 classé par l'Union internationale des Sciences géologiques comme un site géologique mondial pour sa géodiversité remarquable, en plus d'être inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 2012.
En effet, le monolithe carioca de 396 mètres de haut à l'entrée de la baie de Guanabara constitue une référence mondiale de la forme d'érosion dite «en pain de sucre». Ce pinacle rocheux, à l'instar du Corcovado, est constitué d'un ancien granite transformé dans les profondeurs de la Terre en une autre roche appelée gneiss œillé.
Cette roche rose à grise, dite métamorphique (transformée par une augmentation de pression et de température), est constituée de minéraux, dont de grands cristaux de feldspath potassique en forme d'amande, inclus dans une matrice de quartz, plagioclase et biotite. Cette roche à gros grains a été largement utilisée comme pierre ornementale pour les monuments de Rio, d'où son surnom de «la plus carioca des roches»!
Plus précisément, il s'agit d'un ancien granite formé dans les profondeurs de la croûte terrestre par la solidification d'un magma sous un archipel volcanique, il y a environ 560 millions d'années (Ediacarien), puis déformé lors de la formation de la chaîne de montagnes de Ribeira-Araçuaí, lorsque l'Amérique du Sud et l'Afrique centrale ne faisaient qu'une.
La plus grande résistance à l'altération et à l'érosion de ce gneiss par rapport aux roches environnantes explique les pitons rocheux isolés émergeant dans la baie. Il s'agit d'«inselbergs», mot dérivé de l'allemand insel et berg signifiant «montagne-île», un relief isolé aux parois abruptes que l'on retrouve principalement dans les granites et les gneiss.
Ainsi, James Bond mène un duel suspendu au-dessus des racines d'une ancienne chaîne de montagnes, sculptée par une érosion relativement récente sous climat tropical. Ces formes coniques majestueuses ont intrigué les premiers explorateurs au XVIe siècle à l'instar du français Jean de Léry, qui nommait ce rocher le «Pot de Beurre». On reste pour ce monument naturel, dans le champ lexical culinaire!
Cet article a été publié initialement sur The Conversation. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original