En salle depuis mercredi 24 janvier 2024, May December, plonge les actrices Julianne Moore et Natalie Portman dans des abysses dont il est difficile de sortir indemne. Le film s'inspire d'un fait divers qui avait secoué l'Amérique en 1997.
Cette année-là, une enseignante américaine de l’Etat de Washington avait commencé à avoir des relations sexuelles avec son élève, qui n’avait que 12 ans. Celle qui était alors mariée et mère de quatre enfants avait été condamnée à sept ans de prison ferme. Une incarcération qui n'a pas mis un frein à leur histoire puisque malgré les barreaux, le couple aura eu deux enfants avant de se marier en 2005.
De cette histoire, le réalisateur Todd Haynes n'en gardera qu'une trame d'arrière-fond, préférant délaisser ce fait-divers pour s'intéresser aux conséquences de ce dernier sur le quotidien des personnages.
En résulte un thriller psychologique et un récit de vampirisation fascinant porté par deux grandes actrices. Une histoire qui sera d'ailleurs nominée à l'Oscar du meilleur scénario original pour la cérémonie à venir.
May December narre l'immersion d'Elizabeth (Natalie Portman) dans la famille de Gracie (Julianne Moore) et de son mari Joe (Charles Melton). Elizabeth, à la fois actrice et égérie, s'immisce pour quelques jours au sein du couple dans leur villa de campagne, à Savannah, en Géorgie, pour observer la femme qu’elle va incarner au cinéma. Des années auparavant, Gracie avait été incarcérée pour avoir couché avec celui qui est devenu son mari alors qu’il était encore mineur. Malgré le scandale qui a défrayé la chronique, le couple ne s’est jamais quitté. Elizabeth, désirant entrer dans la peau de son personnage, essaie de déchiffrer cette étrange mère de famille qui semble ne jamais remettre en cause ses actions passées.
Cinéaste issu de la scène indépendante et passionné de musique, l’Américain Todd Haynes a su imposer depuis les années 1990 sa patte d’auteur. Celui-ci dispose d'une filmographie certes peu fournie, mais néanmoins de qualité puisqu'on retrouve notamment le fascinant I’m Not There (2007) qui dressait un portrait multifacette de Bob Dylan ou encore Carol (2015), un récit d'amour lesbien dans l’Amérique puritaine qui remporta pas moins de six Oscars.
Todd Haynes retrouve ici son actrice fétiche, Julianne Moore, avec qui il a travaillé par cinq fois, dès 1995 avec Safe, en passant par Loin du paradis (2002), I'm Not There (2006) et Le Musée des merveilles (2015). Mais si Julianne Moore est impériale, comme bien souvent, c'est véritablement Natalie Portman qui sort son épingle du jeu de ce duo d'actrices envoûtant, dans son plus beau rôle depuis Black Swan (2010) et Jackie (2016).
«May-December» est l'expression anglo-saxonne pour signifier une grande différence d'âge dans un couple, le mois de mai se référant à la personne la plus jeune, et décembre évidemment à la personne la plus âgée. Cependant, cet amour transgressif qui prend racine dans la pédophilie ne sera jamais directement abordé dans le film, celui-ci se concentrant sur la vampirisation de cette mère de famille par l’actrice Elisabeth, interprétée par Natalie Portman.
Par le biais de cette actrice venue s'inspirer, le film prend des allures méta, offrant une mise en abyme du cinéma. Un film dans le film qui questionne sur la recherche de vérité et sur la prétention de la méthode dite de l'«Actor Studio», consistant à se mettre littéralement dans la peau d'un personnage.
Plongée dans le quotidien de Gracie pour peaufiner son rôle, Elizabeth va étudier chacune de ses réactions, explorer les méandres psychologiques de son modèle et reproduire ses gestes de manière mimétique, quitte à s'aventurer aux frontières de la morale.
En résulte un film fascinant, oscillant parfois entre le drame intime, le film noir et la comédie sordide. Todd Haynes livre un film complexe, peuplé de secrets et de pulsions sombres qui contrastent avec l'univers confortable et familial typique de la classe moyenne blanche américaine. Un tableau visuellement charmant, hanté par des notes de piano aux sonorités angoissantes, illustrant cette vie de famille dont l'image factice se craquèle à la fois sous le poids du regard scrutateur d'une actrice, mais également du nôtre, spectateurs.
«May December» de Todd Haynes est sorti dans les salles romandes le 24 janvier 2024. Durée: 117 minutes