Grande figure du nouvel Hollywood à qui l'ont doit des chefs-d'œuvre comme la trilogie du Parrain, Dracula ou Apocalypse Now, Francis Ford Coppola est considéré comme l’un des plus grands réalisateurs de tous les temps, rien que ça.
Aujourd'hui âgé de 85 ans, le patriarche d'une dynastie hollywoodienne (toute la famille a percé soit dans la musique, soit dans le cinéma) est de retour avec un film qu'il traîne dans ses cartons depuis 1979. Un projet si dantesque qu'il a dû investir la moitié de sa fortune personnelle, soit 120 millions de dollars pour le réaliser: Megalopolis.
Cette fresque tirant sur la science-fiction est une allégorie de notre monde en faisant de celui-ci un empire sur le déclin aussi dystopique qu'utopique. Un film qui hérite d'un classicisme lourd que l'on n'avait pas revu depuis belle lurette. Pourtant, il s'avère résolument contemporain puisqu'il aborde un mouvement artistique très récent: le solarpunk.
Le solarpunk propose une vision optimiste d'un avenir durable, interconnecté avec la nature et la communauté. Un mouvement apparu à l'aube des années 2010, début d'une époque réellement confronté au réchauffement climatique et aux luttes intersectionnelles. Le solarpunk se présente donc comme une utopie vers la tolérance et l'écologie.
Dans Megalopolis, cette doctrine se manifeste par le personnage de l'architecte Cesar Catilina, qu'incarne Adam Driver (Ferrari). La ville de New Rome, une allégorie de New York, lui doit ses plus beaux bâtiments. Ce génie créateur est à l'origine d'un matériau organique révolutionnaire, capable de construire n'importe quoi et d'arrêter le temps. Cesar, qui est tourné vers le futur, voit dans cette technologie la possibilité de recréer la ville qui connait une crise sans précédent et d'en faire une utopie. Sauf que le maire corrompu, joué par Giancarlo Esposito (Breaking Bad), y est totalement opposé, préférant l'ordre établi.
Au milieu de ces deux hommes et de leur vision contraire, une femme, Julia Cicero (Nathalie Emmanuelle), la fille du maire Franklyn Cicero. Celle-ci se retrouve partagée entre la loyauté envers son père et son amant, l'architecte Cesar. Autour d'eux gravitent pléthore de personnages. Tous sont représentatifs des élites et tous symbolisent la décadence de notre société où les riches le deviennent en appauvrissant et en manipulant la population.
Pour incarner tout ce bon monde, on trouve un casting hétéroclite avec de vieilles gloires, comme Jon Voight (Deliverance) ou Dustin Hoffman (Tootsie), des stars dans le vent telles qu'Aubrey Plaza (The White Lotus) ainsi qu'un acteur que l'on pensait pourtant «cancel» en la présence de Shia LaBeouf. Le comédien était sur la pente descendante depuis qu'il a été accusé de violences sur son ex-campagne.
Megalopolis est pensée comme une grande fresque digne des péplums. Musique pompeuse, chapitre marqué par des citations philosophiques, tout évoque le gigantisme des égos des grands maîtres du cinéma tels que Cecil B. DeMille, Stanley Kubrick ou encore… Francis Ford Coppola lui-même.
L’idée générale du film est de démontrer que la civilisation est une histoire qui se répète et qu'elle est destinée au déclin si elle reste prisonnière d'un système mortifère et figé. Dans sa vision de l'Empire romain contemporain que sont les Etats-Unis, Coppola dresse un inventaire de sa vision d'un monde décadent où s'entrechoquent les jeux de pouvoir, la luxure et l'avidité, tout en évoquant l'art, la religion, la politique et le divertissement, comme si rien n'avait jamais changé au travers de l'histoire du temps. Ce New York, qui est à la fois inspiré de l'antiquité, de la révolution industrielle et d'une vision futuriste du monde, est une fable mythologique, très olympienne, de la nouvelle aristocratie que représentent les 1% les plus riches face au 99% restant.
Megalopolis est un film testament et la vision du monde d'un génie du passé, pour le meilleur et pour le pire. Car si une partie du meilleur se ressent sur les ambitions de l'œuvre, le long métrage est largement teinté du pire. À commencer par l’égocentrisme du réalisateur lui-même qui se ressent à de très nombreux moments, mais surtout par la laideur incommensurable de certaines scènes qui prête parfois à rire tant elles évoquent autant l'opéra que le new-âge. Ce Megalopolis est parfois un festival du kitsch à la frontière du ridicule, contrebalancé par une démonstration magistrale de mise en scène.
De cet ensemble d'immenses qualités et de choix catastrophiques, Megalopolis a de quoi être à la fois détesté et adulé, au même titre que son auteur dont l'orgueil est visiblement à l'origine de cet ego-trip surdimensionné. Cependant, venant d'un homme du passé, cette vision utopiste du monde, dont le «c'était mieux avant» en est l'ennemi, est surprenante en ces temps où toutes les velléités progressistes sont mises au ban par les gardiens du passé et la montée du populisme.
Il semblerait que Francis Ford Coppola ne soit pas le boomer que l'on pense et qu'il ait raison de montrer que, sans changement de paradigme, nous sommes condamnés à répéter les erreurs de la Rome antique. Au centre du récit, il y a un créateur, une vision et une histoire d'amour. Tout comme pour Coppola, dont le film est dédié à son épouse.
Megalopolis est probablement le film le plus étrange que vous verrez cette année. Vous pouvez l'imaginer comme une litanie sur l'état du monde que votre grand-père un peu grabataire vous raconterait, aussi cryptique soit-elle, jusqu'au moment où il vous dit que tout ira pour le mieux et que vous vous rappelez pourquoi vous l'aimez.
«Megalopolis» de Francis Ford Coppola est sorti sur les écrans le 25 septembre 2024. Durée 138 minutes.