«C'est une comédie musicale tournée au Mexique sur fond de trafics de drogue et de transidentité, quelque part entre Breaking Bad et un film de Pedro Almodovar». Dit comme ça, ça sonne un peu comme un de ces rêves étranges qui nous frappent une nuit où l'on aurait mangé trop de fondue. Pourtant, il s'agit bien là d'Emilia Pérez, le nouveau film de Jacques Audiard, sorti ce mercredi 21 août au cinéma.
Le film avait fait parler de lui en remportant deux prix au Festival de Cannes 2024 en mai dernier: le prix du Jury, et un prix d’interprétation féminine collectif pour les actrices Karla Sofía Gascón, Zoe Saldana, Selena Gomez et Adriana Paz. Emilia Pérez est un film inhabituel, totalement clivant et aussi génial que gênant pour les plus allergiques au format musical.
Emilia Pérez raconte l'histoire de Rita (Zoe Saldana) une jeune avocate au service d’un gros cabinet plus enclin à blanchir des criminels qu’à servir la justice. Au bas de l'échelle sociale, elle voit sa vie propulsée vers la fortune lorsque Manitas Del Monte (Karla Sofía Gascón), l'un des narcotrafiquants les plus puissants du Mexique, la charge d'une mission : trouver un chirurgien qui lui permettrait de changer de sexe et pouvoir recommencer sa vie à zéro en étant la femme qu'il a toujours voulu être. Ce qui inclut de se faire passer pour mort en laissant derrière lui sa femme (Selena Gomez) et ses enfants.
Inutile d'aller plus loin que le synopsis, car le saut dans l’inconnu est certainement le meilleur moyen de découvrir ce film. Si le long métrage aborde la transidentité sur le fond, il le fait également sur la forme. Emilia Pérez débute comme un thriller sombre entrecoupé d'interludes musicaux. Le film prend ensuite une tout autre tournure dès lors que Manitas Del Monte devient Emilia. Le film devient alors lumineux, à l'image de la nouvelle vie de celles et ceux qui embrassent leur véritable identité de genre.
Jacques Audiard, 72 ans, est l'auteur d'une filmographie qui se compte désormais en dizaines. Il avait notamment brillé en 2015 avec sa palme d'or pour Dheepan. Le fils du légendaire Michel Audiard affectionne depuis toujours les personnages marginaux et minorés. En plaçant son histoire au Mexique, pays gangrené par la violence des cartels et dont la culture est imprégnée de machisme et de violence masculine, le cinéaste peut dès lors raconter une histoire de rédemption et de colère politique avec toute l'énergie de la culture mexicaine et de la musique latine.
Le film ne vire jamais dans l'outrance de la comédie musicale et n'est pas West Side Story pour autant. On retrouve d'ailleurs une des particularités de film La La Land (2016), avec des comédiens qui ne chantent jamais parfaitement juste, ancrant le fantasque du genre dans une réalité plus concrète.
Avec son parti pris, Emilia Pérez va évidemment diviser. On pourrait aisément lui reprocher de manquer un tant soit peu de psychologie alors qu'il aborde un sujet profondément passionnant, ou de ne pas aller au bout de son concept. Sans doute que l'on aurait aimé qu'il lâche un peu plus les chiens, qu'il en devienne une explosion de couleurs, de joie et de violence. Mais certainement qu'il aurait sombré dans un gouffre de ridicule en le faisant.
Quelque part entre un Disney au royaume des cartels et une télénovela mexicaine, Emilia Pérez est un formidable conte queer sur la sororité porté par des actrices extraordinaires. Si Zoé Saldana et de Selena Gomez sont impériales, la véritable icône du film s’appelle Karla Sofia Gascón. Autrefois connue sous le nom de Carlos Gascón, l'actrice qui a fait sa transition il y a six ans incarne à l’écran un personnage à l'authenticité bouleversante. Après son prix d'interprétation à Cannes, il est évident que les prix vont pleuvoir, n'en déplaise à J. K. Rowling.
Emilia Pérez de Jacques Audiard est sorti au cinéma le 21 août 2024. Durée 2h 10min.