Wes Anderson est au cinéma ce que la coriandre est au palais: soit on adore, soit on déteste. Longtemps un cinéaste de niche pour cinéphiles à la recherche du cool, Wes Anderson bénéficie aujourd'hui d'une petite notoriété qui va désormais bien au-delà du cercle fermé des amateurs de cinéma, notamment grâce aux réseaux sociaux où son esthétique s'est vue singée d'abord sur Instagram, puis TikTok, au point d'en devenir parodique. Or, le réalisateur, qu'on pourrait presque considérer comme un artiste-plasticien tant son cinéma est singulier, est bien plus que des plans symétriques, une esthétique vintage et une brochette de stars. Ce qu'il confirme avec son 11e film: Asteroid City.
Son précédent métrage, The French Dispatch, était un hommage à la presse écrite, un film à sketchs au cœur d'un magazine de grand-reportage et dont chaque chapitre se regardait comme si on lisait un article de magazine. Une formule un peu meta que Wes Anderson semble avoir conservée pour nous amener cette fois-ci dans une époque précise: l'Amérique des années 1950, concentré à l'échelle d'une petite ville désertique située quelque part entre la Californie et le Nouveau-Mexique.
Ainsi, la ville Asteroid City sera littéralement le décor d'une pièce de théâtre où s'entremêlent le maccarthysme, les anxiétés d'après-guerre, la course à la technologie, le tout saupoudré de l'affaire Roswell. Toutes ces thématiques prennent place dans un décor coloré et saturé typique du Technicolor, rendant hommage à l'Americana des années 50, ce courant artistique du «good old days» où va évoluer toute une galerie de personnage hétéroclite. Le film ressuscite avec un soin l’esthétique rétro de l'Ouest américain et des vieux films de science-fiction.
Dans les coulisses qui font d'Asteroid City une pièce de théâtre, c'est la fin de l'âge d'or d'Hollywood et de Broadway et l'émergence de l'Actor Studio ainsi que des programmes télévisés. Une lecture à deux niveaux, qui fait de ce long-métrage une œuvre bien plus complexe qu'elle en a l'air.
Asteroid City, comme le montre les premières minutes du film, est un produit télévisé narré par l'acteur Bryan Cranston. Un théâtre filmé pour la télévision et produit sur la côte est des Etats-Unis. Ainsi, le film change son ratio passant du cinémascope aux couleurs flamboyantes du Technicolor pour du noir et blanc et le carré du format TV afin de nous montrer les coulisses de cette nouvelle pièce écrite par la plume prestigieuse de Conrad Earp (Edward Norton) et réalisée par Chubert Green (Adrian Brody), un cinéaste d'avant-garde à la recherche d'authenticité.
Bienvenue à Asteroid City, une petite ville insignifiante dont le seul intérêt est le gigantesque cratère qui s'y trouve suite à la chute d'un astéroïde, dont les restes sont toujours sur place. Dans cette bourgade paisible et parfois perturbée par le tremblement des nombreux essais nucléaires qu'on aperçoit au loin, a lieu chaque année un concours de science pour la jeunesse: le Junior Stargazer Space Cadet convention.
Un événement organisé par l'armée américaine et ses scientifiques afin de récompenser les innovations technologiques créées par les futurs génies de demain. Ainsi, quatre adolescents surdoués vont venir présenter leurs inventions totalement loufoques, accompagnés de toute une galerie de personnages fantasques: un photographe récemment veuf, ses quatre enfants et son beau-père, une actrice sur le déclin, une enseignante larguée venue avec toute sa classe…
Tout ce beau monde va côtoyer les habitants de la ville, passant du garagiste incapable de réparer quoi que ce soit au gérant du lodge, prêt à tout pour vendre un lopin de terre, en passant par le personnel militaire et les scientifiques de l'observatoire situé en amont du cratère.
Ces personnages, desquels émane toujours une sorte de mélancolie masquée par un univers haut en couleur, sont un des leitmotivs de Wes Anderson. Ces nombreux rôles lui permettent d'avoir systématiquement une distribution prestigieuse dans laquelle il montre son attachement indéniable à certains acteurs et actrices qui font partie de sa famille. Ainsi, on retrouve Jason Schwartzman, Adrien Brody, Edward Norton, Willem Defoe, Jeffrey Wright, Jeff Goldblum ou encore Tilda Swinton, même pour quelques minutes à l’écran.
Ainsi, tous les habitants et les gens de passage à Asteroid City vont se retrouver confinés suite à un événement perturbateur: un extra-terrestre venu voler les restes de l'astéroïde qui s'était écrasé dans le cratère. Ainsi, la quiétude du désert fait place à la paranoïa du gouvernement pour ses concitoyens, devenus prisonniers d'une quarantaine strict qui sera disruptée par le leak d'une photo de l'alien, faisant d'Asteroid City le centre de toutes les attentions.
En parallèle, nous suivons les questionnements des acteurs jouant les personnages de ces récits, dont les deux stars principales Jones Hall (Jason Schwartzman) et Mercedes Ford (Scarlett Johansson) qui ne cesseront de remettre en question leur méthode de jeu et l'écriture de la pièce, en conséquence de l'arrivée de la méthode de l'Actors Studio. Une approche théâtrale où les acteurs vont chercher dans leur propre psychologie afin d'avoir un jeu plus authentique et qui a vu des stars comme Marlon Brando, James Dean, ou encore Elizabeth Taylor rencontrer le succès.
Asteroid City est la métaphore de ce qui a défini l’Amérique des années 50 d'est en ouest, politiquement et artistiquement, le tout à l'échelle d'un plateau de cinéma et d'une toute petite ville. Wes Anderson a réalisé un film théâtral, où l'on voit à la fois l'œuvre et le making-of, pour rappeler sans doute que le cinéma n’est jamais qu’une simple idée et que son travail vaut plus qu'une simple imagerie comme beaucoup tendent à le penser.
Pour 2024, ce sont deux projets dans lesquels Wes Anderson s’est investi. Si le premier est un produit de son propre cru, le suivant n'est rien de moins que l’adaptation, pour Netflix, de La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar, un recueil de nouvelles écrit par Roald Dahl. Un auteur que Wes Anderson avait déjà porté à l’écran par le passé avec le film d'animation Fantastic Mr. Fox. Au casting, on retrouvera Ralph Fiennes, Benedict Cumberbatch, Dev Patel et Rupert Friend. Si on ne sait pas grand-chose pour le moment, le projet actuellement en postproduction devrait être disponible sur la plateforme cet automne.
En attendant, Asteroid City est aussi rafraichissant qu'un milkshake à la fraise dans un diner américain au milieu du désert, et rien que pour ça, il fait bon de le voir.
Asteroid City de Wes Anderson sort sur les écrans romands le 21 juin 2023