Mais quel étrange objet filmique que ce second long-métrage de la réalisatrice britannique Emerald Fennell. Cette autrice avait précédemment marqué les esprits avec le spectaculaire Promising Young Woman (2020), récompensé par l'Oscar du meilleur scénario original, et également l'excellente série Killing Eve (2018) qu'elle avait à la fois écrite et produite.
Une réalisatrice plutôt bien entourée, puisque sa productrice n'est autre que Margot Robbie, via sa société de production LuckyChap Entertainment, dont les œuvres cinématographiques et télévisuelles sont axées sur les femmes.
Saltburn raconte comment, au début des années 2000, un jeune étudiant d'Oxford, campé par le brillant Barry Keoghan (Les Banshees d'Inisherin), va devenir le ver dans la pomme d'une famille de la haute bourgeoisie anglaise, au travers de sa relation avec le personnage incarné par Jacob Elordi (Euphoria). L'acteur en vogue aperçu cette année dans le rôle d'Elvis Presley devant la caméra de Sofia Coppola.
Dans ce festival décadent où débordent des torrents de luxure et de provocation, le film, comme tant d'autres avant lui, tente de mettre à nu l'hypocrisie des ultra-riches et de le leur faire payer, à la manière des Palmes cannoises que sont Parasite (2019) ou Sans Filtre (2022).
Le grand déballage se raconte dans un écrin très arty, avec son format 4/3, son grain omniprésent et ses couleurs saturées, le tout sonorisé avec une BO d'enfer. Des qualités suffisantes pour que l'œuvre bénéficie déjà d'une petite aura de film culte depuis sa sortie en novembre 2023 aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, au point qu'un trend, lancé sur TikTok, a tenté de reproduire une scène du film.
Dans nos contrées, c'est sur Prime Video qu'il faut se tourner, le film étant arrivé fin décembre sur la plateforme d'Amazon.
Par ses excès où le sexe est exposé sans tabou, Saltburn n'est pas à mettre dans toutes les mains. Le métrage a d'ailleurs été classé «R» par les autorités de censure aux Etats-Unis. Cela signifie que le film est donc déconseillé aux moins de 18 ans en raison de scènes pouvant heurter la sensibilité d'un jeune public.
Normal en voyant le menu dressé par Fennell. Saltburn a tout du film qui divise, de par sa réalisation clipesque qui peut sembler outrancière pour les puristes d'un cinéma plus classique, mais également par ce qu'il propose. Certaines scènes, véritablement dérangeantes, vont du grotesque en passant par le dégoût et ne font que planter le clou sur un film desservi par une écriture un peu trop classique, au point d'en devenir maladroite.
L'histoire offre des séquences si malaisantes que sa radicalité fleure parfois avec le mauvais thriller érotique. Cependant, dopé par la fulgurance de ses interprètes et son format en 4/3 qui enferme ses personnages, Saltburn possède une aura spectrale qui lui donne une allure très particulière.
A commencer par le château typiquement british qui prête ses murs et ses jardins comme décors, magnifique de jour comme de nuit. Un rendu visuel que l'on doit au chef opérateur suédois Linus Sandgren (Babylon, First Man), dont la maîtrise des contrastes et des lumières offre à Saltburn une esthétique unique.
Or Saltburn ne se cantonne pas uniquement à sa plastique et dispose d'un casting solide, notamment porté par des actrices confirmées telles que Rosamund Pike (Gone Girl) et Carey Mulligan (Maestro). C'est surtout l'acteur Barry Keoghan qui tire son épingle du jeu et crève l'écran avec son jeu magnétique.
Cet Irlandais de 31 ans n'est pas un débutant. Le bonhomme a déjà été récompensé par le BAFTA du Meilleur acteur dans un second rôle dans Les Banshees d'Inisherin, l'équivalent des Oscars pour le cinéma britannique. Son nom a déjà tapé dans l'oeil de prestigieux réalisateurs comme Yórgos Lánthimos (Mise à mort du cerf sacré) ou encore Christopher Nolan (Dunkerque).
Dans son rôle d'Oliver Quick, Barry Keoghan fascine autant qu'il effraie. Mal fagoté, avec un look de premier de classe, l'Irlandais va peu à peu se transformer en sociopathe libidineux et désirable, dont les pensées, indiscernables, seront toujours motivées par le désir et la débauche. Un grain de folie unique qui fait de son personnage la colonne vertébrale du film.
A ses côtés, l'Australien Jacob Elordi, se contente de jouer le bellâtre et paraît bien fade face au charisme dévastateur de son compagnon de jeu - qui n'a pas hésité à opter pour la tenue d'Adam dans une scène qui a tout d'iconique.
Cependant, difficile de vous conseiller Saltburn tant il peut fasciner ou révulser. Le film a su trouver son public tout comme ses détracteurs, et seul son visionnage vous fera choisir votre camp pour peu que les œuvres subversives vous parlent.
Le film «Saltburn» d’Emerald Fennell est disponible en streaming sur Prime Video.