Hormis l’inconfort social qui fut le nôtre au moment d’enjamber trois SDF pour parvenir à entrer dans le McDonald’s le plus glauque de Miami, on se réjouissait d’avaler la dernière imposture commerciale du clown jaune et rouge. Cette introduction résume à elle seule le capitalisme et l’impasse dans laquelle se trouve le géant américain du hamburger en 2024.
Jeudi 10 octobre, McDonald’s a inauguré sur tout le territoire américain un «nouveau» sandwich pourtant déjà à la carte dans certaines filiales, en Australie et au Royaume-Uni. C’est d’ailleurs la grande spécialité de la chaîne basée à Chicago: fabriquer des inédits avec les restes du voisin.
Si nous avons osé franchir les portes collantes de ce boui-boui abandonné au milieu de la NE 2nd Ave, ce n’est pas seulement parce qu’on crèche à moins de deux jets de vomi et trois bagnoles de flic. Ce jeudi, l'Amérique applaudissait l’arrivée tonitruante du Chicken Big Mac. Enfin, sauf le gars qu’on dérangera plus tard pour lui demander pourquoi il bouffait un Big Mac désespérément normal, un jour comme celui-ci.
On comprendra hélas très vite à quel point le bonhomme avait raison. Non pas que l’on soit des ennemis idéologiques de McDonald’s, mais cette déconstruction fière et volontaire du produit phare de la chaîne depuis 1968 ne prédisait rien qui vaille. De la même manière que l'on imagine mal un moteur Kangoo sous le capot d'une Ferrari (ou un condamné au pénal dans le Bureau ovale), travestir le Big Mac est à considérer comme une provocation.
Pour dire, même la campagne officielle a de quoi choquer les puristes du célèbre burger à étages. Un montage? Une blague? De l’IA mal digérée?
Allez, on entend d’ici votre estomac qui gargouille, alors ne perdons pas de temps et fonçons dans le lard (qu’il n’y a pas dans le Chicken Big Mac).
Pour la faire courte, c’est un Big Mac. A 95%. Seuls deux ingrédients viennent perturber la recette ancestrale: les oignons reconstitués se sont fait la malle et la volaille pique la vedette au bœuf.
A ce stade de la compétition, on pourrait penser que McDonald’s a glissé deux McChicken entre trois tranches de pain, sans trop se fouler. C'est presque ça. Histoire de ne pas passer pour de (trop) grosses feignasses, les huiles de friture de la société ont trouvé de quoi innover à moindres frais. Car les morceaux de poulet que l’on trouve désormais dans le Chicken Big Mac sont en réalité des nuggets géants.
Autrement dit, deux galettes panées à la tempura. Tout le reste n'a pas bougé, de la laitue au fromage, en passant par les buns au sésame et la fameuse sauce (plus si) secrète. Et la seule question intelligente qui se pose avant de croquer dans cette œuvre est la suivante: avait-on vraiment besoin d'un énième produit avec ces deux vieilles rondelles de cornichon dégueulasses, dont les gens fréquentables se séparent avant d’empoigner la bête?
La réponse est non.
Tout bon fêtard qui se respecte ne sera guère impressionné par ce nouvel effort de McDonald's, tant il ressemble au Big Mac qu'on engloutit à 3 heures du matin, en ayant au préalable glissé un nuggets à l'intérieur, «juste pour rire». C'est dire le niveau d'innovation du géant de la malbouffe. Sans compter que l'expérience est globalement désagréable. L'impression d'accueillir en bouche un Big Mac salopé volontairement est présente jusqu'à la fin de l'aventure. Et on repense alors aux crêpes jambon-Nutella que l'on s'envoyait dans notre enfance, comme une bravade inoffensive pour faire rager maman.
Et puis, nous voilà bien obligés de contredire le grand patron de la chaîne, Chris Kempczinski, forcément fier de son bébé à la volaille, qui appréciait sur Instagram «le croquant du poulet que l'on n'obtient pas avec le Big Mac classique». Sachant que rien n'a jamais été croustillant chez McDo, on se demande si on ne se fout pas un peu de notre gueule.
Et c’est là tout le problème de cette marque iconique, qui se montre cruellement incapable de se projeter dans l’avenir. Un avenir gorgé de concurrents créatifs, de petites échoppes de burgers à s’en taper le cul par terre et de nouvelles habitudes de consommation plus locales et durables.
Si la firme parvient parfois à glisser temporairement des spécialités locales dans les menus, rien n’est encore venu inquiéter le vieux Big Mac, qui fête ses 56 ans cette année. En voulant lui ravaler la façade avec du poulet aux Etats-Unis, comme en lui offrant une double dose de bidoche dans la plupart des pays. Le Big Mac est à la fois une pop star et un indice boursier. Y toucher, c’est risquer de dévaluer sa valeur aux yeux des fidèles.
En juillet 2024, McDonald’s annonçait des chiffres en baisse pour la première fois en treize trimestres. La faute à des prix qui enflent, alors que Burger King ou Taco Bell bombent le torse avec des menus abordables. Une catastrophe pour le clown jaune et rouge, qui avait pris l'habitude de piocher dans les porte-monnaie troués: «les bas revenus sont devenus plus exigeants, mais aussi moins enclins à manger chez nous en période de crise économique», constatait le PDG cet été.
McDo a perdu les pauvres. Surtout en Amérique. Mais ce n’est pas en proposant un patchwork réchauffé au poulet reconstitué, à 6,69 dollars le sandwich, qu’ils vont les récupérer.