A 32 ans, Chien Bleu est un artiste genevois profondément marqué par sa ville natale. C'est notamment grâce à une mère musicienne qu'il s'intéresse très jeune à la musique, débutant dans le punk-rock avant de s’aventurer dans le rap en 2018.
En parallèle, il exerce depuis près de dix ans le métier de tatoueur, une activité qui remplit son quotidien et, comme il aime le dire, son frigo. Loin des clichés, il nous parle de sa musique, de ses inspirations et de ce qu’il veut transmettre avec son premier album, On va jamais mourir.
Pourquoi «Chien Bleu»?
Chien Bleu: Le nom vient d’un livre d’images que ma mère me lisait quand j’étais petit. Il raconte l’histoire d’un chien bleu recueilli par une petite fille, qui la protège d’un esprit maléfique. Ce livre m’a marqué et je voulais un nom qui laisse une image forte dans l’esprit des gens. Quand tu fais du rap, un bon blase, c’est essentiel.
De tatoueur à chanteur punk, puis rappeur... Qu’est-ce qui t’a amené à ce virage?
Tout est lié. Enfant, je dessinais beaucoup, ce qui m’a naturellement mené au tatouage. Côté musique, ado, je m’ennuyais avec mes potes, alors on a monté un groupe punk, Sergent Papou. C’était un punk-rock engagé, loin de Green Day, et lié à la scène anti-fasciste.
Le punk, c’est frontal, un peu comme une autoroute: on va tout droit sans se poser de questions. Le rap, lui, m’a permis de creuser en moi, de poser mes émotions avec plus de profondeur.
Certains pourraient dire que tu fais du rap «conscient». D'accord ou pas?
Pas vraiment. Pour moi, l’expression «rap conscient» a une connotation un peu paternaliste. Je ne me vois pas en grand frère donneur de leçons. Je veux plutôt montrer qu’on peut être vulnérable sans être fragile. La vie n’est pas un cliché: elle est faite de nuances. Mon rap reflète cette complexité.
Tes morceaux, comme Mman ou Blue Jean, sont très personnels. Y a-t-il des sujets que tu hésites encore à explorer?
J’écris beaucoup en ce moment, mais je ne force jamais les choses. Je laisse venir ce qui remonte à la surface. Cet album, On va jamais mourir, a pris deux ans et demi à se construire. Il est le fruit d’une réflexion profonde sur ce que je voulais transmettre. Le morceau Tout l’été, par exemple, a été particulièrement difficile à écrire. J’y parle de mon rôle de grand frère, un sujet qui me touche énormément.
Quels mots choisirais-tu pour définir ce premier album?
Je ne voulais pas quelque chose de lisse ou parfait. Cet album est plein d’aspérités, et c’est exactement ce que je cherchais.
Qui t'inspire? Quelles sont les influences musicales ou littéraires qui te donnent envie d'aller chercher ce qu'il y a au fond de toi?
J’écoute de tout, mais j’ai du mal à pointer des inspirations précises. Mac Miller et Kanye West, bien sûr. J’aime aussi la chanson française, des artistes comme Renaud, pour sa sincérité presque maladroite. Noir Désir aussi, même si son histoire personnelle est problématique. Au-delà de la musique, je puise beaucoup dans mon quotidien, dans ce que je vois et ressens.
Genève reste une «petite» scène dans le monde de la musique. Comment c’est d’être un artiste en Suisse?
Etre un artiste en Suisse, c’est hyper dur. Il n’y a pas d’industrie: pas de labels, pas de managers, pas de distribution. On est obligés d’aller chercher tout ça ailleurs. Et la Suisse romande, c’est un marché minuscule, souvent snobé à l’étranger. Mais je ne me vois pas partir à Paris, par exemple, je suis trop attaché à mes origines. Genève fait partie de mon identité d’artiste, et je ne veux pas changer ça.
Tes instru sont particulièrement qualitatives. Et tu travailles avec l’ingénieur son de Damso. Tu nous expliques?
Je collabore avec trois piliers essentiels. D’abord, mon beatmaker Lupa: c’est avec lui qu’on crée les maquettes. Ensuite, on enregistre à Bruxelles avec L’Oeil Ecoute de OEL Record, qui travaille avec des artistes comme Roméo Elvis. Et puis L'Oeil Ecoute et Jules Fradet, connu pour son travail avec Damso, mixent et masterisent le tout.
Tu nous disais qu'être un artiste en Suisse c'est dur, en partie à cause de l'absence de l'industrie musicale. Comment est-ce que vos chemins se sont croisés?
J’ai eu la chance de remporter un gros concours en Suisse, M4 Musique, qui a financé les premières étapes de l'album. Grâce à ça, j’ai pu les réunir autour de ce projet.
Comment tu convaincrais quelqu’un comme moi, qui n’écoute normalement pas de rap, de découvrir ton travail?
Je ne pense pas que ce soit mon rôle de convaincre qui que ce soit. Pour moi, c’est la musique qui doit parler d’elle-même. Si la sincérité que j’ai mise dans cet album te touche, alors c’est tout ce qui compte. On va jamais mourir est un projet hyper musical, qui va au-delà des clichés souvent associés au rap.
Mais moi, je cherche à proposer quelque chose de plus nuancé. Peut-être que c’est pour ça que certains gros rappeurs, qui cartonnent, se construisent autour d’images claires: soit des gros durs, soit des lovers. Mais la vie, elle, est pleine de contradictions, et c’est ce que j’essaye de transmettre.
Tu es toujours en contact avec les membres du groupe Sergent Papou?
Oui, toujours. On est restés très proches. Ils ne m’en veulent pas d’avoir voulu lancer un projet qui m’appartient. C’était un truc d’adolescents, et c’est bien que ça soit resté comme ça, dans ce cadre-là.
Tu es actif sur Instagram. Avec la montée en puissance de plateformes comme TikTok, la manière de consommer de la musique évolue. Comment te positionnes-tu face à cette transformation?
J’ai enfin trouvé un rapport un peu sain avec les réseaux sociaux. Mais honnêtement, ce n’est pas mon truc. Moi, j’aime les choses simples et vraies: bien manger, faire du sport, ce genre de choses. Les réseaux, c’est tout l’inverse, très superficiel et axé sur l’image. Alors, je fais ce que je peux et ce que je dois, mais si je pouvais déléguer cette partie, je le ferais sans hésiter.
Beaucoup d’artistes s’adaptent aux tendances pour élargir leur public. Imaginons que tu exploses sur Internet demain. Comment ferais-tu pour que ça ne te monte pas à la tête?
Je pense que j’ai passé l’âge pour que ça me monte à la tête. Ça fait longtemps que je bosse, je sais ce que c’est que de galérer, de compter ses sous ou de traverser des périodes compliquées. Ce qui est drôle, c’est ce contraste: sur scène, il y a 300 personnes qui chantent mes paroles et veulent des autographes.
Dans mon quartier, je reste le gamin d’à côté, et c’est la réalité qui me maintient les pieds sur terre. Je m’occupe de ma famille, de mon fils, je continue d’aller bosser tous les jours. Ça me rappelle que je suis quelqu’un de normal. Par contre, si j’avais percé à 20 ans, peut-être que ça aurait été différent. A cet âge-là, c’est plus facile de se perdre dans un monde surfait.
Tu as mis beaucoup d’espoir dans cet album? C’est un tournant pour toi?
Je ne parlerais pas d’espoir à proprement parler. Pour moi, la réussite d’un projet et sa qualité sont deux choses distinctes. Bien sûr, j’ai des attentes... J’aimerais que cet album touche plus de monde, qu’il m’offre l’opportunité de faire plus de concerts. Mais quoi qu’il arrive, mon travail est fait. On a donné tout ce qu’on avait, et cet album a le mérite d’exister. C’est déjà une victoire.
Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite?
Que les gens prennent le temps d’écouter cet album. Et qu’ils y trouvent quelque chose de sincère, de différent. Si ça peut les toucher d’une manière ou d’une autre, alors j’aurai réussi.