Une dynastie puissante à la Succession et un récit qui convoque les séries Dopesick et Painkiller, traitant de ce terrible fléau que sont les opioïdes aux Etats-Unis. Ces trois séries mixées accouchent d'une autre, pensée par le maestro Mike Flanagan: La Chute de la maison Usher.
Une percée dans les coulisses des puissants Usher (pas le chanteur, hein), des membres privilégiés d'une famille aux commandes de la société pharmaceutique Fortunato. A sa tête Roderick Usher (Bruce Greenwood est joué dans sa version plus jeune par Zach Gilford), le patriarche, les poches pleines, pilotant une entreprise qui a commercialisé le Ligodone, un analgésique ultra addictif. Outre les billets verts qui pleuvent à foison grâce à ce produit, la chute des Usher sera vertigineuse, provoquée par une terrible malédiction.
Le récit tentaculaire, inspiré par les écrits d’Edgar Allan Poe, crie à la mort et à la décadence. Si les Usher sont vernis, une ombre plane, une malédiction échafaudée un soir de Nouvel an, celui de 1980. Roderick et Madeline (Mary McDonnell pour la version âgée et Willa Fitzgerald pour la plus jeune) rencontrent une étrange femme nommée Verna (Carla Gugino). Qui est-elle? Mystère.
Slalomant entre les destins tragiques et courant derrière l'identité de cette femme mystérieuse, La Chute de la maison Usher brasse jalousie et convoitise dans un bassin peuplé de personnes détraquées. Les désirs de grandeur, l'avarice et la luxure adossées (tiens, tiens) sont des adjectifs qui définissent la lignée Usher - des âmes corrompues par l'appât du gain.
Logiquement, qui dit fric, dit Justice. Elle sera incarnée par l'antagoniste, Carl Lumbly qui joue Auguste Dupin, une version moderne du personnage d'enquêteur récurrent de Poe. Dupin est obsédé à l'idée de faire tomber le boss de Fortunato. Lui, l'incarnation du bien, Roderick Usher le mal, les deux hommes remontent le temps, répondant à l'invitation du directeur. A force de verres de cognac hors de prix, de monologues tranchants, de fantômes de front et en arrière-fond dans une maison proche de la ruine, les nombreuses séquences fonctionnent comme une sorte de clarté vibrante (et frissonnante) dans un horizon noirci par les secrets.
On arpente l'enfance de Roderick et Madeline à la lueur des bougies, avant de converger vers le présent lugubre, fait de châtiments et de dégringolades récentes. L'entreprise familiale a prospéré et la voilà consumée par la mort.
Impossible cette fois-ci pour le patriarche d'opter pour l'art du pivot - une technique épluchée lors de l'épisode 3, à la frappe chirurgicale. Désormais sa marge de manoeuvre est épuisée et il est temps de régler sa dette, dans le sang et les larmes.
Car plus dure sera la chute. La moustache bien en place, Roderick, un temps indéboulonnable, tangue dangereusement au bord du précipice - annoncé tel un prémice dès le premier épisode. Les réminiscences du premier épisode résonnent, donnant un écho troublant aux paroles du prêtre saluant la mémoire du sixième rejeton à finir entre quatre planches. «Les frontières entre la vie et la mort sont obscures», en pesant chaque mot et syllabe. L'homme de foi conclut par:
La toile horrifique est tissée autour d'un homme qui a grandi dans la lumière et voit son ombre lui souffler sa flamme (existentielle). Mike Flanagan n'épargne pas ses personnages et leur réserve des fins macabres, jusqu'à leur dernier soupir.
L'insupportable tristesse qui ne fait qu'évoluer plus on s'enfonce dans le passé, fissure l'empire Usher. Tout est voué à finir en poussière, à être démoli pour ne rien laisser comme héritage. Les enfants ont trépassé - Frederick (Henry Thomas), Camille (Kate Siegel), Napoleon (Rahul Kohli), Tamerlane (Samantha Sloyan), Victorine (T'Nia Miller) et Prospero (Sauriyan Sapkota).
Verna, et l'hypnotique performance de Carla Gugino, vénéneuse et malicieuse, viendra chercher son dû, coûte que coûte.
Le dernier épisode achèvera la symphonie troublante pensée par Mike Flanagan, en modernisant le maître Edgar Allan Poe, et rappelle tout son savoir-faire derrière l'objectif. Sa mise en scène demeure toujours élégante, dans la droite lignée de Haunting of Hill House ou encore Midnight Mass (Sermons de minuit), avec sa faculté à croiser habilement mélodrame et épouvante. Les monologues sont des coups de revolver: «C'est ton monument, Roderick. C'est une merveille du monde. Elle sera éternelle. Voici ton héritage», chuchote Verna à Roderick, acculé et esseulé, devant son œuvre tragiquement célèbre - la crise des opiacés.
Une portion sublime qui cadre le récit de cette famille pourrie par l'obsession de se goinfrer de fric et d'oublier les chagrins d'autrui. Un égoïsme pur, simple, puissant. On devine facilement le message: une telle richesse, nourrie par des moyens sinistres, est mauvaise et ne peut que précipiter la chute. Clinique. Mike Flanagan réussit une série dense, prodigieuse parfois, quand ces différents monologues viennent annoncer la chute d'une puisante famille.
En terminant le huitième épisode, la contagion prend fin, jusque-là difficile à contenir. La cadence et les contours vous poussent vers l'addiction tel un Ligodone pris sous intraveineuse.