«Ça bouchonne, on ne va jamais pouvoir rentrer»; «Aïe, voilà, j'ai perdu mon verre de blanc». Rien que pour accéder à la salle qui accueillait la Swiss Mullet Cup, il fallait jouer des coudes pour découvrir l'événement de la Foire du Valais qui clôturait ce millésime 2024.
Car l'Espace Live est devenu le temps de quelques heures une salle de concert, où les rockstars n'avaient pas besoin d'instruments pour chauffer les foules. Leurs cheveux et quelques canettes de bières suffisaient largement.
On croise la route d'un participant: Ethan, de Saillon, le costume valaisan et les étoiles tatouées sur le coeur. Le jeune homme venait fêter ses 20 ans et, surtout, comme il le clame sur scène, «se bourrer la gueule». Il n'en fallait pas plus pour que ses fans survoltés lui intiment de «montrer son cul».
La foule est en liesse, les adeptes de la coupe courte devant et longue derrière se pavanent sur scène, tandis que le public scande les noms des participants (mention à Kilian, superstar des lieux).
Ils étaient plus de 150 concurrents (130 pour le concours en ligne et majoritairement des hommes) à exciter l'assistance, devant un jury composé de sept membres dans lequel on retrouvait, entre autres, les deux Vincent (Kucholl et Veillon) ou encore Bernard Rappaz.
Pour ambiancer, Laura Chaignat au micro et Yoann Provenzano aux platines. Une bande de joyeux lurons qui ont jonglé entre blagues et morceaux pour faire hurler ce public gonflé à bloc. Les numéros des concurrents résonnent et Laura Chaignat s'en trouve presque désolée: «Les numéros 14, 65, 77, 81...On dirait du bétail. J'ai pas les noms en ma possession.»
L'organisation peinait à dresser la liste des participants, un poil dépassée face à la cohue et l'ambiance survoltée qui habillait la salle. L'une des membres de l'organisation nous avouait, le regard un tantinet désabusé mais amusé, ne plus rien comprendre. On la retrouvera plus tard soulagée et heureuse d'avoir survécu à ce moment.
Car le succès a été plus qu'au rendez-vous et l'organisation de la Foire du Valais a flairé le bon coup avec ce concours. L'imparable esprit fêtard valaisan a fonctionné avec la Swiss Mullet Cup.
Mais cet art de la coupe irrégulière était aussi une occasion de questionner le geste derrière le coup de ciseaux. Lorsqu'on parle avec les participants, c'est avant tout un art de vivre.
Willy, candidat français de Châtel, nous le décrit:
Alors que la coupe était moquée, qu'elle appartenait à des footballeurs comme Ruedi Völler, aux musiciens punk jusqu'à la mode éphémère de la tecktonik, le mulet est plus souvent associé à une frange de la société américaine et aux rednecks. Ce look est venu souligner l'anticonformisme des années 70, symbolisé par le rejet des normes de genre. Mais il est aussi question d'anticonformisme de droite, rappelle The Economist.
Aucun geste politique, aucune revendication, une simple envie de se démarquer, une exploration d'un mode de vie grâce à la chevelure.
On retourne vers Ethan, le digne représentant de Saillon (VS), à qui nous posons cette question: le mulet est-il un art de vivre?
Il nous confie soigner sa coiffure depuis près de 2 ans et demi: «Depuis l'annonce du concours, j'ai laissé pousser», répond-il avec un large sourire et une bière à la main.
La question de se démarquer revient aussi à l'appropriation de l'identité. Quel autre canton que le Valais aurait pu accueillir un tel concours? Aucun. Ethan et ses potes arboraient les couleurs valaisannes et demandaient au disque-jockey de jouer l'hymne valaisan (Marignan).
Il y a une petite touche identitaire qui, au-delà de la noce dominicale, nourrit la fierté de perpétuer une tradition qui colle à la peau des Valaisans.
En discutant, on questionne sur le stigmate social que représentait la coupe mulet, issu des classes populaires. Romain, de Salvan (VS), qui étrenne cette coupe depuis 2 ans, balaie d'un revers cette notion de classe sociale: «C'est une raison d'être, un art de vivre, une liberté; le but, c'est d'être soi-même. Il n'y a pas ou plus de représentation des classes sociales dès qu'on porte le mulet.»
Une fois le sujet politique évacué, une autre interrogation se pose: cette fantaisie capillaire n'est-elle pas difficile à assumer au boulot? «Le mulet, c'est simple à porter. Je bosse dans la restauration et les clients m'apprécient grâce à mon mulet. Ils ne connaissent même pas mon nom», se marre Romain.
Ilario, autre candidat français tout droit venu de Toulouse, confirme ce mode de vie et cette interrogation concernant la vie professionnelle: «Je suis consultant dans l'industrie et je suis toujours au contact d'hommes en costume. Au début, ils te regardent de travers, ils ne te prennent pas au sérieux, mais ce n'est qu'au début».
Aucun problème dans la vie active, selon Ilario, surtout qu'il ne pourrait jamais se résoudre à renoncer à sa coupe mulet:
On se tourne alors vers l'ambassadeur du mulet en Valais: Bernard Rappaz. Après ce défilé de mulets, le célèbre chanvrier valaisan s'amuse de cette étiquette de manitou valaisan de la coupe longue à l'arrière. «A Saxon, il y a souvent du vent. Je suis paysan, moi, j'avais les mains sales et ça m'embêtait de me recoiffer. A force, je suis allé chez le coiffeur et je lui ai dit de me couper devant et sur les côtés.»
Mais c'est 20 ans plus tard, en lisant la presse qu'il a découvert la mode et le nom de la coupe mulet: «Je lisais Le Matin et c'était écrit que Rihanna avait remis au goût du jour la coupe mulet. Pour rire, je disais aux copains que je causais avec elle de temps en temps».
Le grand sourire de Bernard Rappaz et la bonne humeur ambiante ne font qu'asseoir la folle ambiance de cette communauté aux cheveux longs. Un remède à la morosité?
Le grand vainqueur du concours se nomme Killian Wicht, 18 ans, lessivé par une bonne dose d'émotions. «Droit en bas les larmes», comme dirait un bon Valaisan. Et en fermant le calepin et remballant le stylo, la Swiss Mullet Cup a rassemblé une communauté sans accent politique, mais qui confine à l'art de «s'en foutre du regard des autres» avec la banane.