Des dizaines de militants climatiques ont investi mardi le tarmac de l'aéroport de Genève, où se tenait une exposition de jets privés. Ce n'est que la dernière action en date visant l'aviation, privée et commerciale plus largement, pointée du doigt en raison de son impact écologique.
Les acteurs du secteur aéronautique, à commencer par les organisateurs de l'expo genevoise, ne cessent pourtant de le répéter: l'aviation vise une réduction complète des émissions polluantes d'ici 2050.
Plusieurs initiatives allant dans ce sens ont été lancées ou annoncées ces dernières années. Le mois passé, l'Union européenne (UE) a par exemple trouvé un accord qualifié d'«historique et ambitieux» pour éliminer les émissions des avions au cours des trois prochaines décennies. Les Etats-Unis ont présenté un plan similaire en 2021, un objectif également partagé par l'Association du transport aérien international (Iata). Plusieurs compagnies privées, à l'image de Swiss, s'activent déjà de leur côté.
Les intentions sont donc là. Mais qu'en est-il de la pratique? La technologie dont on dispose aujourd'hui permettra-t-elle d'atteindre ces objectifs? Quelles sont les alternatives techniques envisagées et envisageables? Tous les plans et les programmes évoqués s'appuient sur les mêmes éléments:
Ces derniers constituent l'élément le plus important et prometteur. Selon les calculs de l'Iata, les SAF pourraient contribuer à hauteur d'environ 65% à la réduction des émissions nécessaire à atteindre la neutralité carbone en 2050. Il s'agit de biocarburants ou de carburants de synthèse, fabriqués à partir de plusieurs sources, allant des déchets agricoles au carbone capturé dans l'atmosphère.
«Les carburants durables fonctionnent assez bien», explique Jean-Michel Schulz, professeur en technologies aéronautiques et aérospatiales auprès de la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO). «Ils sont très proches du kérosène traditionnel et cela comporte de nombreux avantages, tout d'abord au niveau de l'infrastructure.» Il ajoute:
Swiss a par exemple annoncé utiliser des carburants durables pour certains de ses vols réguliers au départ de la Suisse. Mais le chemin à parcourir est encore long: on estime que les SAF représentent moins de 0,1% de l'ensemble du kérosène actuellement utilisé, les coûts de production élevés et l'offre limitée ayant notamment freiné leur adoption.
«Les carburants durables sont trois à cinq fois plus chers que le kérosène traditionnel», confirme Jean-Michel Schulz, qui estime néanmoins que la situation devrait s'équilibrer à l'avenir: «Grâce à l'industrialisation de leur production, les SAF devraient devenir plus abordables, tandis que le prix du kérosène pourrait augmenter sous l'impulsion des taxes».
Jean-Michel Schulz estime que, grâce à leurs avantages techniques, les carburants d’aviation durables peuvent être déployés assez rapidement, «en l'espace d'une dizaine d'années». On ne peut pas dire la même chose des avions à hydrogène, une autre piste régulièrement évoquée lorsqu'il est question de décarbonisation de l'aviation.
«Faire voler des avions de ligne à l'hydrogène demande des modifications techniques plus importantes», développe l'ingénieur. Ce gaz est plus volumineux que le kérosène, mais le principal problème réside ailleurs:
De tels réservoirs existent, assure Jean-Michel Schulz, mais leurs caractéristiques ne sont pas encore adaptées au vol: «Ils sont utilisés soit dans le spatial, mais avec une durée de stockage très courte et un faible poids, soit dans la cryogénie au sol, par exemple au Cern, avec des performances et des poids élevés», explique-t-il. Problème: «Dans l'aviation, le poids a une importance considérable. En règle générale, plus un avion est lourd, plus il consomme de carburant pour voler».
Contrairement aux SAF, «l'hydrogène liquide demande de changer l'architecture de l'avion», poursuit le spécialiste. «C'est le grand challenge de ce type de carburant, qui nécessite de mettre en place une industrialisation des réservoirs cryogéniques.» Et la chaîne de distribution doit également s'adapter: «Les fournisseurs de carburant doivent être en mesure de distribuer et de stocker de l'hydrogène liquide dans les aéroports».
Et qu'en est-il de l'énergie électrique, tout aussi régulièrement évoquée dans ces débats? L'Iata chiffre sa contribution dans la transition énergétique de l'aviation à 13%, avec l'hydrogène.
Jean-Michel Schulz se montre moins optimiste: «Un avion de ligne n'est pas conçu pour voler avec des batteries électriques, car elles sont trop lourdes. Un kilo de kérosène équivaut à environ 60 kilos de batteries électriques», affirme-t-il.
L'énergie électrique pourrait tout de même jouer un rôle, notamment dans l'aviation de loisir. «De petits avions effectuant des vols d'une heure maximum peuvent être alimentés avec ce type d'énergie», avance l'ingénieur. «C'est important, car l'aviation de ligne se sert de ces petits appareils pour former les pilotes.» Le plan du gouvernement américain prévoit entre autres «l'électrification comme solutions pour les liaisons court-courrier».
A la lumière de tout cela, les objectifs affichés au grand jour par les autorités et les compagnies aériennes sont-ils réalisables? Jean-Michel Schulz pense que oui: «Les SAF pourront assurer une transition jusqu'à l'horizon 2050, le temps pour le secteur de développer l'hydrogène liquide et remplacer petit à petit les avions existants».
Si les SAF sont déjà utilisés aujourd'hui, les vols à l'hydrogène n'ont été effectués que dans le cadre d'essais. Avancer sur ce point va nécessiter un effort commun, poursuit l'ingénieur:
«Il s'agit d'un objectif ambitieux», reconnaît-il, «mais pas infaisable. L'histoire de l'aviation montre que des choses encore plus ambitieuses ont pu être accomplies. Les programmes Concorde ou Apollo en sont des exemples».
Plusieurs observateurs invitent tout de même à tempérer les attentes. Selon l'Iata, l'industrie aéronautique ne sera pas en mesure d'éliminer complètement les émissions à la source et devra atténuer le reste à l'aide de divers mécanismes de compensation. Il s'agit d'un processus par lequel les émissions sont compensées par le financement d'une réduction des émissions ailleurs.
Or, comme le fait remarquer le cabinet de conseil spécialisé Carbone 4, il est «trompeur» de vouloir créer un lien entre les émissions induites par un vol aérien et les émissions évitées en finançant un projet qui n'a rien à voir avec le vol. Pour cette raison, cet outil «n'aide pas vraiment l’aviation à réduire ses propres émissions de gaz à effet de serre».
Le recours aux carburants durables est également à relativiser. «Les carburants ne sont finalement que des supports d'énergie: il faut que celle-ci soit produite de manière propre pour éliminer toutes les émissions du secteur aéronautique», affirme Jean-Michel Schulz. Et de conclure: