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Gestion d’actifs: la face cachée d’un géant mondial

Boom financier: la gestion d'actifs explose et cache une menace mondiale.
La stabilité financière internationale fait face à un nouveau défi.Image: Shutterstock
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Boom financier: la gestion d'actifs explose et cache une menace mondiale

L’industrie de la gestion d’actifs prospère, mais sa concentration croissante inquiète. Entre domination des géants comme BlackRock et risques systémiques pour la stabilité financière, les enjeux sont majeurs. Décryptage d’une évolution qui interroge.
22.12.2024, 18:57
Daniel Zulauf / ch media
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Depuis août, le groupe d’assurance français Axa et la grande banque BNP Paribas étudient officiellement la possibilité de fusionner leurs activités de gestion d’actifs. De son côté, le leader européen Amundi (France) et Allianz Global Investors, la branche de gestion d’actifs du géant munichois de l’assurance, ont eux aussi engagé des discussions ces derniers mois, avant de les interrompre temporairement.

D'autres rumeurs circulent: selon des articles de presse récents, le géant italien de l'assurance Generali envisagerait un rapprochement avec Natixis, la filiale de gestion de fonds du groupe bancaire français BPCE. Quant à Zurich, l'assureur suisse aurait sans doute été actif sur ce marché des «mariages» financiers s’il n’avait pas vendu son gestionnaire d'actifs Scudder, il y a 22 ans, alors qu'il traversait une crise existentielle.

Consolidation dictée par une logique économique implacable

Des vagues de consolidation secouent régulièrement l’industrie mondiale de la gestion d’actifs depuis plusieurs années. Ce processus de concentration obéit à des forces qui relèvent d’une logique économique presque effrayante par son caractère inévitable.

Depuis les années 1970, lorsque le système monétaire de Bretton Woods a pris fin et que la libéralisation des marchés financiers a commencé, les rendements des actifs financiers par rapport à la production économique ont fortement augmenté dans la plupart des pays industrialisés. Une croissance telle que, même dans nos régions, la question de la redistribution des richesses est redevenue un sujet central en économie.

Les rendements élevés des marchés financiers ont certes contribué à creuser l’écart entre riches et pauvres dans les pays occidentaux. Mais ils ont également fait gonfler l’épargne des ménages de toutes les classes sociales, stimulant ainsi le boom de l’industrie de la gestion d’actifs, qui alimente aujourd’hui sa propre consolidation.

Une industrie vieillissante

En Suisse, où la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle s’applique depuis 1985 à tous les salariés dépassant un certain seuil de revenu, l’épargne-retraite obligatoire a atteint fin 2023 la somme colossale de 1200 milliards de francs suisses, soit une croissance de 160% depuis le début du millénaire. Même la forte croissance économique suisse — qui a permis un doublement du PIB en 23 ans pour atteindre plus de 800 milliards de francs — paraît modeste en comparaison.

Et cette tendance devrait se poursuivre. Après un léger recul en 2022 dû à la hausse mondiale des taux d’intérêt, les actifs gérés par les gestionnaires du monde entier ont rebondi dès l’année suivante, progressant de 12% pour atteindre près de 120 000 milliards de dollars. Ce regain donne à l’industrie un dynamisme presque juvénile.

En réalité, cette industrie est vieillissante. Elle présente déjà des symptômes classiques des secteurs matures: une pression croissante sur les prix réduit l’impact du volume sur la croissance des bénéfices, tandis que la concurrence force des investissements colossaux, ce qui érode les marges.

Comme toujours, c’est le segment intermédiaire qui souffre le plus. Dans la gestion d’actifs, cela concerne les gestionnaires actifs positionnés au milieu de la courbe risque-rendement, comme UBS avec son vaste portefeuille de fonds d’investissement. Selon des statistiques non officielles publiées par TAI, UBS se classe dixième parmi les plus grands gestionnaires institutionnels mondiaux, avec 1900 milliards de dollars d’actifs sous gestion fin 2023.

A la gauche de la courbe risque-rendement, on trouve les fournisseurs d’ETF (fonds indiciels) comme BlackRock et Vanguard, qui proposent des produits bon marché et adaptés au grand public. A l’extrême droite, des gestionnaires spécialisés commercialisent des investissements alternatifs plus onéreux avec des rendements potentiels élevés, tels que la société suisse Partners Group.

L'essor des ETF et des investissements alternatifs

Selon une étude récente de Boston Consulting Group (BCG), la part des investissements passifs est passée de 10% en 2005 à 20% du volume mondial en 2023. Ces produits suivent des indices de référence sans prendre d’initiatives stratégiques particulières.

Parallèlement, les investissements alternatifs ont connu une croissance spectaculaire. Regroupant les actifs privés (comme ceux proposés par Partners Group), les hedge funds et d’autres véhicules résistants aux cycles financiers traditionnels, ils représentent déjà 20% des actifs mondiaux sous gestion, mais surtout 57% des revenus du secteur.

Cette spécialisation met en évidence une réalité: les avantages concurrentiels naturels des assureurs (grands volumes de capital) ou des banques (réseaux de distribution) ne suffisent plus pour rester compétitifs dans la gestion d’actifs mondiale.

Risque pour la stabilité des marchés financiers

La montée en puissance de géants comme BlackRock (leader mondial des ETF) et Blackstone (spécialisé dans le private equity) illustre parfaitement ce processus de concentration. Mais cette évolution ne peut pas être laissée aux seules autorités antitrust, comme dans d’autres industries.

La concentration du secteur comporte un danger majeur: la stabilité des marchés financiers. Rappelons que les fonds monétaires avaient joué un rôle d’accélérateur lors de la dernière crise financière. Contrairement aux années 1930, où les épargnants se ruaient eux-mêmes vers les guichets bancaires, ce sont en 2007 les gestionnaires d’actifs qui ont agi, au nom des épargnants.

La crise de Credit Suisse entre l’automne 2022 et le printemps 2023 l’a encore démontré: si les grands gestionnaires d’actifs retirent leurs fonds simultanément, les systèmes de garantie des dépôts perdent instantanément leur valeur. Les banques centrales, contraintes d’endosser le rôle de «prêteurs en dernier ressort», se retrouvent exposées à des risques croissants, comme on l’a vu lors de cette crise. C’est là la face sombre de l’industrie de la gestion d’actifs, une réalité que nous devrions examiner de beaucoup plus près.

Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci

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