Aux Etats-Unis, la maîtrise de l'économie est une des clés les plus importantes pour le succès d'un président. Comme l'a dit l'un d'entre eux, Bill Clinton, durant une de ses campagnes: «It's the economy, stupid!»
Les économistes parlent parfois d'un «indice de misère» (Misery Index). Il s'agit de la somme des points de pourcentage du chômage et de l'inflation. Voici l'évolution de cet indice aux Etats-Unis au cours des dernières décennies:
Et pourtant, Joe Biden les bat tous de loin: pour lui, le Misery Index est actuellement de 7,7%. En d'autres termes, l'actuel président américain mène une politique économique bien plus efficace que la plupart de ses prédécesseurs au cours des 40 dernières années. David Brooks, chroniqueur au New York Times, en tire la conclusion suivante:
Nous verrons plus tard pourquoi il ne l'est pas. Mais il s'agit d'abord de montrer en quoi consiste la politique économique du président américain.
Dans les années 80, Ronald Reagan a lancé une politique économique qui a rapidement été copiée dans le monde entier: les «Reaganomics». Pour l'essentiel, cette politique consistait à privatiser les entreprises publiques, à réduire les impôts, les barrières commerciales et les contraintes légales sur les marchés.
En théorie, cela devait permettre de réveiller les «instincts animaux» des entrepreneurs et de propulser l'économie vers de nouveaux sommets. Cette prospérité nouvellement créée devait se diffuser à travers la société par le ruissellement et faire le bonheur d'une élite aisée tout comme de la classe moyenne.
Les Reaganomics sont pourtant restés en grande partie idéologiques. En réalité, c'est avant tout une petite élite de super-riches qui en a profité. Ce sont les ouvriers américains sans diplôme universitaire qui sont devenus les grands perdants de cette politique. Et les partisans des Reaganomics sont entre-temps devenus une petite minorité.
A Washington, quelques adeptes du courant avaient pourtant survécu jusqu'à nos jours. Mais cela vient de définitivement changer: Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale et star secrète du gouvernement Biden, a prononcé un véritable adieu aux Reaganomics dans un discours important il y a quelques semaines.
Il y a déploré que l'efficacité des marchés libres et les bienfaits du libre-échange étaient surestimés. Et plaidé pour que les Etats-Unis développent une nouvelle politique industrielle, qui se situe «au-delà des accords commerciaux traditionnels» et qui conduira à de «nouveaux partenaires économiques internationaux».
Durant son mandat, Joe Biden a appliqué cette nouvelle doctrine de manière cohérente. Il a toutefois évité d'y apposer son nom. Le terme «Bidenomics» était plutôt tabou à la Maison Blanche. Cela a changé depuis quelques temps. A l'approche des élections, le président passe à l'offensive et mise sur les Bidenomics comme recette du succès. Qu'entend-il exactement par là? Dans le Washington Post, E. J. Dionne résume cette nouvelle politique économique de la manière suivante:
Et dans la pratique, force est de constater que cette politique économique a fait ses preuves. L'indice de misère américain se situe à un niveau historiquement bas. Au premier trimestre, l'économie américaine a connu une croissance de 2% du produit intérieur brut, soit presque deux fois plus que ce qui était prévu.
Et cette fois-ci, ce n'est pas une élite déjà riche qui en profite. Au cours des deux premières années du gouvernement Biden, 800 000 nouveaux emplois ont été créés dans les usines. Des emplois qui profitent en premier lieu aux ouvriers sans diplôme universitaire, et qui représentent environ 70% de la population active.
Mieux encore: les régions rurales bénéficient plus que la moyenne des nouvelles mesures d'encouragement du gouvernement. Paradoxalement, ce sont les Etats «rouges», qui ont tendance à voter républicain, qui récoltent les fruits des Bidenomics.
Le succès des Bidenomics s'est répandu dans le monde entier. Des représentants du gouvernement australien et des politiciens d'opposition du Royaume-Uni viennent visiter Washington pour voir comment cette politique économique peut être mise en pratique. La présidente des Verts allemands, Ricarda Lang, n'hésite pas à parler du «lprojet politique le plus passionnant du moment».
Il n'y a qu'un seul endroit où le succès des Bidenomics n'a pas fait mouche: dans la tête des Américains. Un sondage récent de NBC News a ainsi révélé que 74% des personnes interrogées pensent que les Etats-Unis font fausse route sur le plan économique. Joe Biden obtient régulièrement des notes misérables pour sa politique économique. Comment est-ce possible?
Dans le cœur des Américains: le pouvoir d'achat et l'inflation. Le prix de l'essence reste plus ou moins le seul facteur déterminant de le bien-être économique de nombreux américains et leurs pick-ups. Le fait que l'inflation soit en baisse n'a pas encore eu d'impact sur lui.
De plus, pour de nombreux américains ruraux, l'ère Trump est idéalisée — à tort. Il est vrai que sous Trump, les Américains ont pu jouir d'une croissance économique rapide sans inflation notable jusqu'à la pandémie. Mais le mérite en revient moins à l'ex-président qu'à son prédécesseur Barack Obama, qui en avait jeté les bases. Trump a tout simplement eu une chance inouïe.
L'ex-président a certes beaucoup promis aux petites gens, mais il a peu tenu ses promesses. Sa plus grande action économique a été une baisse d'impôts dont les super-riches ont profité. L'annonce de Trump d'investir enfin dans l'infrastructure délabrée des Etats-Unis et de créer ainsi de nouveaux emplois pour les non-diplômés a dégénéré en une mauvaise blague.
Face à Biden, les républicains n'ont pas grand-chose à proposer en matière de politique économique. Trump continue de radoter au sujet de son élection perdue et, à la Chambre des représentants, les députés du Grand Old Party mettent en scène un énième chapitre de la mascarade autour de Hunter Biden et de son ordinateur portable.
Tout cela est extrêmement injuste pour le président en exercice, mais ne change rien au fait que Biden doit passer par là. Il ne doit pas seulement mener une politique économique efficace, il doit aussi réussir à la faire comprendre aux électeurs.
Traduit et adapté par Noëline Flippe