UBS. Ces trois lettres bien connues des Suisses nous rappellent que toutes les grandes banques sont condamnées à s'effondrer à un moment ou à un autre. L'histoire de l'UBS moderne n'a que 26 ans et image ce paradigme de manière exemplaire. Car si la banque en question a survécu, ce n'est pas le cas de toutes ses concurrentes, dont certaines ont fini absorbées dans sa structure.
Souvenez-vous: en 1997, l'Union de banques suisses et la Société de banque suisse ont échappé au danger imminent d'une opération de rachat en fusionnant. Ainsi est née UBS. Les deux établissements ont dès lors atteint une masse critique qui leur a permis de se hisser dans la catégorie, encore jeune à l'époque, des grandes banques actives à l'échelle mondiale.
Mais les turbulences ont tôt fait de rattraper le secteur bancaire. Moins d'un an plus tard, la faillite du fonds LTCM ébranle le monde de la finance. Cette onde de choc oblige la banque centrale américaine, la Fed, à sauver en urgence ce fonds spéculatif. Son manager, John Meriwether, avait connu la gloire dans les années 1980 en tant que trader d'obligations chez Salomon Brothers. C'est d'ailleurs lui qui a inspiré Tom Wolfe pour son célèbre roman de l'époque, Le bûcher des vanités.
La débâcle de LTCM a engendré une perte de plusieurs milliards pour UBS que personne n'avait vue venir. Un renouvellement immédiat de la direction du groupe s'est avéré nécessaire pour sauver la banque avant que la perte de confiance de la clientèle ne provoque des dégâts encore plus importants. Ironiquement, ce choc a pourtant eu un effet positif pour UBS, qui lui a permis de surmonter la «bulle Internet» de 2001 avec bien moins de dégâts que ses concurrents.
A nouveau, le passage de cette bulle spéculative a eu un impact, mais cette fois-ci délétère. Car UBS s'est empressée d'accélérer sa conquête de Wall Street. Son bilan a été gonflé par des emprunts hypothécaires américains qui semblaient sûrs et de faibles exigences réglementaires en matière de fonds propres. Ces outils ont été exploités au maximum. Mais la prochaine crise pointait déjà le bout de son nez.
En 2008, la crise des subprimes frappe sévèrement les Etats-Unis et le monde entier. En Suisse, la situation est catastrophique et l'Etat décide de sauver UBS après des pertes de plus de 40 milliards de dollars. C'est un choc pour la grande banque, qui prend acte de ses erreurs. En 2023, plus de 15 ans après cette expérience de mort imminente, l'UBS est assainie et s'est repositionnée dans le secteur. Elle est à nouveau en pole position alors que c'est désormais Credit Suisse qui s'effondre.
L'autre établissement suisse «de référence» souffrait d'une crise de confiance aiguë. Elle était en si mauvaise posture que, le 19 mars 2023, le Conseil fédéral a autorisé UBS à racheter — on pourra dire: absorber — son éternelle rivale, dans le cadre d'un échange d'actions de moins de 3,5 milliards de francs.
La valeur boursière du groupe, qui s'élève à 80 milliards de francs, n'a pas encore rattrapé ce qu'elle était dans les années folles précédant la crise financière, soit à peu près le double. Mais le fort renforcement du cours de l'action l'année dernière (+51%), qui a suivi le rachat de Credit Suisse, a déjà suffi pour la repositionner en tête du classement des banques les plus importantes d'Europe continentale.
Ce rachat a suscité de grands fantasmes boursiers chez le nouvel actionnaire principal d'UBS, la société d'investissement suédoise Cevian. Le CEO Sergio Ermotti a en effet annoncé des économies de coûts de 10 milliards de dollars. Des analystes financiers avisés ont calculé la valeur future de ces économies et sont parvenus à un montant qui n'est pas loin de la valeur boursière actuelle de l'UBS.
Lars Förberg, partenaire chez Cevian, a publiquement annoncé que la société d'investissement s'attend à un doublement du cours de l'action UBS à 50 francs. Une simple équation permettrait d'expliquer ce résultat, met-il en avant, mais impossible de savoir pour l'heure si de telles projections vont se réaliser sur le long terme.
L'actuel président d'UBS et manager de longue date de Morgan Stanley, Colm Kelleher, ne se laissera vraisemblablement pas distraire. L'Irlandais et son manager en chef tessinois sont manifestement décidés à entièrement réorienter l'UBS vers le modèle de gestion de fortune qui fonctionne si bien pour la banque américaine. Les affaires de Credit Suisse à Wall Street et du style de l'affaire Archegos, c'est donc bel et bien du passé.
Mais qu'en sera-t-il si UBS devient dans les années prochaines puissante à un tel niveau au sein du secteur bancaire mondial, mais que ses architectes sont partis à la retraite? Il ne serait pas surprenant qu'une autre direction d'UBS soit à nouveau tentée, à un moment ou à un autre, de sacrifier la stabilité de la banque au nom d'un modèle d'affaires plus rentable, mais plus risqué, histoire de nourrir ses propres ambitions et la cupidité des actionnaires.
Le changement de paradigme souhaité par l'UBS n'a une chance réaliste de succès que s'il peut être maintenu par plusieurs générations de managers. D'ici là, les autorités de surveillance seraient bien avisées d'imposer à l'établissement les règles strictes héritées des mauvaises expériences qui ont eu lieu ces 26 dernières années.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci