Juste avant la fin du mois, le compte en banque est à sec, mais l'offre est trop tentante: il faut absolument acheter ce nouveau smartphone. La commande est donc passée, avec paiement différé. Que ce soit chez Nike, Ikea, Conforama ou Interdiscount, le nombre de commerces proposant ce service ne cesse de croître.
Beaucoup d'entre eux font appel au prestataire suédois Klarna, qui recense déjà plus d'un millier de détaillants suisses sur son site.
Mais, parallèlement à sa popularité croissante, le modèle «Buy now, pay later» (BNPL) suscite également de nombreuses critiques. En particulier, la collaboration annoncée, en mars dernier, entre Klarna et le service américain de livraison de repas DoorDash a provoqué un large écho médiatique.
La NZZ a ainsi ironisé en écrivant qu'«on peut désormais acheter des Pad Thaï et des Quesadillas à crédit». Aux Etats-Unis, plusieurs experts mettent en garde contre le risque accru de surendettement lié à la généralisation de ces modes de paiement.
Le «Buy now, pay later» (BNPL) est, dans sa forme la plus simple, un paiement à facture classique, mais digitalisé. Des prestataires comme Klarna ou Cembra Pay offrent aux clients la possibilité de repousser leur paiement de 30 jours d'un simple clic. Cette solution séduit aussi les commerçants: Klarna leur garantit une augmentation moyenne de 23% du montant des commandes ainsi qu'une hausse de 46% de la fréquence d'achat.
A cela s'ajoute une garantie financière: les prestataires de paiement digital garantissent ou versent d'avance le montant dû. Ils deviennent ainsi créanciers, ce qui peut parfois coûter cher aux consommateurs.
Un jeune homme de 19 ans a utilisé la fonction «Payer plus tard» de Twint et de Swissbilling, filiale de Cembra, qui permet de reporter le paiement dans les boutiques en ligne jusqu'à 30 jours. En quelques mois seulement, il a accumulé environ 3000 francs de dettes. C'est ce qu'expose Pascal Pfister, directeur de Dettes Conseils Suisse (DCS):
Chez Klarna aussi, selon les conditions générales, chaque rappel de paiement entraîne des frais pouvant atteindre 30 francs, ainsi que d'autres coûts. De plus, si le paiement n'est pas effectué à l'échéance, la personne est automatiquement en retard sans autre avertissement et doit payer des intérêts de retard à hauteur de 8%.
Pascal Pfister expose le problème:
Ils ciblent ainsi délibérément les jeunes, souvent méfiants vis-à-vis des cartes de crédit. Selon Pfister, il n'existe pas de chiffres fiables sur le nombre de jeunes qui se tournent vers des services de conseil en endettement à cause de ces prestataires.
Même pour le paiement échelonné, qui fait partie de l'offre de la plupart des prestataires de paiement numérique, il existe des risques: par exemple, pour régler un canapé acheté en ligne chez Beliani via Klarna, le client peut choisir de payer le montant total en trois mensualités. Mais en multipliant ce type de contrats, on risque plus facilement de perdre de vue le montant total des paiements mensuels à effectuer.
Une étude publiée l'année dernière par l'Université Stanford et l'Université de Californie à Irvine conclut que les utilisateurs de ce type de paiements échelonnés accumulent rapidement des frais de découvert bancaire et des intérêts de carte de crédit plus élevés que ceux qui n'utilisent pas ces services.
Comme l'explique Pfister:
Cette méthode de paiement y est en effet en forte progression depuis un certain temps: un rapport publié cette année montre qu'en 2022 déjà, environ un cinquième des consommateurs l'avaient utilisée au moins une fois.
En Suisse, la loi fédérale sur le crédit à la consommation (LCC) régule les obligations des entreprises proposant des crédits. Bien que ces prestataires consultent une base de données sur les dettes et poursuites en cours, cette procédure diffère nettement d'une évaluation de la capacité de crédit, telle que doivent réaliser les banques, explique Pfister.
Klarna souligne pour sa part qu'une vérification des données de paiement passées est effectuée pour chaque transaction, et, si nécessaire, une consultation des agences de crédit externes. De son côté, Twint précise que la fonction «Payer plus tard» n'est accessible qu'aux utilisateurs ayant passé avec succès une évaluation de leur solvabilité.
En principe, la loi sur le crédit à la consommation (LCC) ne s'applique pas à un seul paiement échelonné devant être réglé dans un délai de trois mois sans prolongation, explique l'avocate spécialisée en crédits à la consommation Rausan Noori.
Sous réserve toutefois: si plusieurs paiements échelonnés sont en cours auprès du même prestataire et que la durée totale dépasse trois mois, «alors la LCC s'applique de nouveau, selon moi», précise Noori:
L'experte juge qu'une révision de la loi est urgemment nécessaire.
Au printemps, la députée socialiste zurichoise Min Li Marti a déposé une motion en ce sens. Celle-ci vise à obliger l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma) à contrôler le respect de la loi sur le crédit à la consommation. Le Conseil fédéral recommande toutefois de rejeter cette motion.
Il existe sans doute de nombreux consommateurs solvables capables de rembourser des crédits BNPL, affirme Rausan Noori. Cependant, le problème demeure que, faute de vérification de la capacité de crédit, des personnes non solvables ont également recours à ces offres. Cette «attribution incontrôlée de crédits» entraîne selon l'avocate une augmentation tout aussi incontrôlée du surendettement.
Il est difficile de déterminer exactement combien de personnes en Suisse sont touchées par le surendettement. Le service de conseil en matière d'endettement estime que 6 à 13% de la population est surendettée. L'Office fédéral de la statistique (OFS) a collecté les dernières données sur l'endettement en 2022: à cette époque, 12,1% de la population vivaient dans un ménage avec au moins un retard de paiement, à l'exception des hypothèques sur la résidence principale.
L'OFS ne distingue toutefois pas si ce retard concerne une seule personne ou plusieurs au sein du ménage. Sur demande, l'OFS a précisé:
Comme l'explique Pascal Pfister:
Cette situation pose problème, car l'absence de données solides complique la définition et la justification de mesures ciblées.
La dernière enquête du service de conseil en endettement paraîtra en août. Elle révèle qu'au cours de l'année passée, la part des personnes de moins de 30 ans parmi tous les demandeurs d'aide a augmenté de trois points pour atteindre 26%. Les connaissances financières, notamment chez les plus jeunes, sont parfois peu développées, explique Pfister:
En 2022, le «Buy now, pay later» n'était pas encore très répandu en Suisse, indique l'OFS. Lors de la prochaine enquête sur l'endettement des ménages, prévue en 2026, l'option BNPL sera toutefois intégrée aux paiements échelonnés conformément aux directives d'Eurostat. Les résultats seront publiés au printemps 2028. D'ici là, les impacts des méthodes de paiement numériques sur l'endettement resteront inconnus et sujets à spéculations.
Traduit et adapté par Noëline Flippe