Les souhaits du ministère américain des Finances sont des ordres pour les banques helvétiques. L'Association suisse des banquiers n'a jamais laissé planer le moindre doute sur la relation de la branche avec le puissant organisme baptisé «Office of Foreign Assets Control» (Ofac), subordonné au ministère des Finances. La semaine dernière, le président de la faîtière, Marcel Rohner, avait à nouveau clairement établi les choses:
Une option qu'aucune ne souhaite prendre, quand bien même, elle serait helvétique, a affirmé l'ancien patron d'UBS dans une interview à la Weltwoche.
Mais dans la pratique, les choses ne sont pas aussi évidentes que Marcel Rohner le laisse entendre. La complexité de la mise en œuvre des dispositions de ces sanctions a récemment ressurgi. Selon Reuters, Washington a fait part à UBS de son intérêt pour d'anciens clients du Credit Suisse d'origine russe. Suite à une demande écrite, des discussions auraient eu lieu.
Le contenu de l'échange reste confidentiel. Les deux parties ne prennent pas officiellement position face aux demandes des médias. Elles ne confirment donc pas non plus les informations de Reuters. Celles-ci semblent toutefois plausibles, d'autant plus qu'elles s'appuient sur les indications de trois «personnes proches du dossier».
Il faut dire que les recherches directes d'autorités étrangères en Suisse qui contournent les procédures ordinaires sont délicates du point de vue du droit public et pénal. D'un côté, en cas de comportement fautif, les Etats-Unis violeraient le traité international «sur l'entraide judiciaire en matière pénale», vieux de 50 ans déjà. De l'autre, UBS pourrait, en cas de remise illégale de données de clients, se rendre coupable de violation du secret bancaire et/ou d'un «acte interdit pour un Etat étranger».
Dans cet imbroglio, il reste peu de place pour la transparence. Les clients potentiellement suspects d'origine russe bénéficient par conséquent d'une protection minimale. Citant un initié, Reuters explique qu'UBS tente de geler l'argent et les comptes concernés pour éviter des amendes conséquentes.
L'un des problèmes, c'est que tous les titulaires de comptes suspects ne figurent pas nommément sur la liste de l'Ofac. Le plus simple et le plus sûr pour les banques serait de pouvoir demander aux autorités américaines au cas par cas. Mais justement: la loi n'autorise pas cet échange direct (pour de bonnes raisons). Ce qui est autorisé, c'est un «échange technique sur des questions générales d'interprétation», précise le Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco), conscient des imprécisions d'un tel troc. C'est précisément pour cette raison, dit-on à Berne, que l'on entretient «une bonne collaboration avec les partenaires, dont les Etats-Unis».
La qualité de cette relation américano-helvétique est toutefois mise à l'épreuve depuis un certain temps. Il y a un peu plus de deux semaines, l'ambassadeur aux Etats-Unis, Scott Miller, a déclaré:
Il réagissait à la décision de l'Ofac de placer deux avocats suisses sur la liste élargie des sanctions pour avoir aidé des clients russes à tricher.
Reuters va même jusqu'à citer un représentant des autorités américaines, qui félicite UBS pour sa disposition à coopérer, critiquant ainsi indirectement les avocats et autres acteurs qui œuvrent dans les coulisses de la place financière. Le lobby bancaire est conscient du risque que des pratiques commerciales de tels acteurs, qui ne sont plus acceptées au niveau international, se retournent contre les grandes institutions financières.
C'est pourquoi la grande banque et les autres s'efforcent, aux côtés du Conseil fédéral, de parvenir finalement à assouplir le secret professionnel des avocats dans le sens souhaité outre-Atlantique. Les clients indésirables et encore en mesure de s'en aller ont sans doute quitté la place financière suisse depuis longtemps. Reste à savoir ce qu'il adviendra des patates chaudes.
Adaptation française: Valentine Zenker