«Nous voyons le cours de l'euro à long terme en dessous d'un franc», déclare Daniel Kalt, économiste en chef de l'UBS. A l'horizon d'un an, la grande banque s'attend à un cours de 97 centimes pour un euro.
Cette dépréciation serait surtout motivée par le différentiel d'inflation qui s'est créé entre la zone euro et la Suisse. En avril, le renchérissement était encore de 7% dans la zone euro, alors qu'il n'était que de 2,6% en Suisse. Si cette différence persiste encore longtemps, l'euro continuera à se déprécier, explique Daniel Kalt.
La Banque Raiffeisen s'attend à une dévaluation encore plus importante. «Selon toute probabilité, le cours de l'euro va continuer à descendre en dessous de la parité», explique l'économiste Alexander Koch. «Sur l'année, nous avons une prévision de 95 centimes.» Si cela se produit, un cours de l'euro inférieur à 1 franc deviendra la nouvelle normalité.
L'euro a déjà connu une nouvelle dévaluation importante. Par rapport au début de l'année 2022, il vaut près de 7% de moins. Mais selon Raiffeisen, l'euro n'est pas sous-évalué et le franc n'est pas surévalué. Il n'y a pas non plus de nouvelle ruée vers les paradis commerciaux frontaliers en France ou en Allemagne. Au contraire, le tourisme d'achat pourrait être légèrement affaibli.
Comment cela s'explique-t-il? Autrefois, le tourisme d'achat était en plein essor lorsque l'euro valait encore 1 franc ou 1,10 franc. Mais avec un cours de l'euro d'environ 97 centimes, il n'y a pas d'affluence supplémentaire. Cette supposée contradiction s'explique par l'interaction entre le cours de l'euro et la différence d'inflation entre la Suisse et la zone euro.
Depuis début 2022, tout est devenu plus cher en Suisse. Toutefois, ce choc inflationniste a été beaucoup plus important dans la zone euro. Ainsi, les produits et services des pays voisins sont devenus moins attractifs pour tous ceux qui perçoivent leurs revenus en francs suisses.
Mais ce désavantage est compensé par la dépréciation de l'euro. Lorsque l'on fait passer la frontière à ses francs, on obtient toujours en moyenne à peu près le même prix qu'avant, converti en euros. Le taux de change compense donc le fait que l'inflation est beaucoup plus élevée dans la zone euro qu'en Suisse.
Cela était encore très différent lors de la crise financière et plus tard, lors de la crise de l'euro. A l'époque, la crainte de voir la zone euro se disloquer se répandait. Des dizaines d'épargnants ont préféré sauver leur argent hors de la zone euro. Les épargnants en Suisse préféraient le garder chez eux. Le franc promettait la sécurité, l'euro une perte financière. La fuite hors de la zone euro a eu une forte influence sur le taux de change. C'est ainsi que s'est produit le choc du franc.
A l'époque, le taux de change n'avait pas du tout pour effet d'équilibrer les prix dans la zone euro et en Suisse. Au contraire, il créait d'énormes différences: dans la zone euro, tout était soudain beaucoup plus avantageux pour tous ceux qui avaient des revenus en francs. L'économie suisse a dû combler cette différence, péniblement et pendant des années.
L'hôtellerie a dû proposer des chambres moins chères; les remontées mécaniques n'ont pu augmenter le prix de leurs billets que modérément, alors que la concurrence autrichienne s'est imposée presque à volonté.
Maintenant, tout est donc différent de l'époque du choc du franc. Le taux de change aplanit les différences de prix qui existent entre la Suisse et la zone euro. Et pourtant, il y a des raisons de penser que le tourisme d'achat est actuellement affaibli par l'inflation élevée dans la zone euro.
Pour les produits alimentaires importants pour les touristes d'achat, les prix ont tellement augmenté que cela ne compense plus la dévaluation de l'euro.
La différence d'inflation influence donc le cours de l'euro. Un autre facteur important est la quantité d'argent que les épargnants placent dans la zone euro ou en Suisse, analyse Alexander Koch. Cela dépend du rendement que l'on peut attendre, qui dépend à son tour du niveau des taux d'intérêt à l'avenir et de ce qu'il pourrait en rester après déduction de l'inflation.
Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), a laissé entendre que l'inflation est loin d'être vaincue et que les taux directeurs doivent continuer à augmenter. Pour les épargnants, cela valoriserait l'euro par rapport au franc.
Mais depuis peu, les marchés financiers pensent que la BCE ne va plus beaucoup serrer la vis et qu'elle va même bientôt baisser ses taux directeurs, analyse Alexander Koch. C'est la raison pour laquelle l'euro s'est encore affaibli récemment.
(Traduit et adapté par Pauline Langel)