Economie
Inflation

Taux d'intérêt: la Suisse pourrait souffrir de taux ultra-bas

Les Américains ne comptent pas comme nous et c'est dangereux

Les marchés financiers et les propriétaires doivent faire face à un nouveau danger, lié à la manière d'évaluer l'inflation aux Etats-Unis. Décryptage.
03.05.2024, 06:08
Niklaus Vontobel / ch media
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La banque centrale américaine (Fed) a mis à jour son taux directeur mercredi 1er mai. L’inflation ayant récemment atteint un niveau décevant, aucune baisse n’a été enregistrée. Les bourses s'y attendaient et ne comptent désormais plus sur le fort assouplissement qu'elles ont prédit durant longtemps pour 2024. Désormais, elles l'ont compris, il faut miser sur une hausse des taux.

Curieusement, ce revirement est lié à la manière dont les Etats-Unis mesurent leur inflation. Mais ce problème purement statistique pourrait avoir des conséquences globales – y compris chez nous – sur les consommateurs et les propriétaires. Le chef de la banque centrale italienne s'inquiète d'un retour à des taux d'intérêt ultra-bas.

Revenons un peu en arrière. Avec le Covid, l'inflation a atteint un niveau record de 9% avant de replonger tout aussi rapidement à 2%. La Fed a été surprise par chacun de ces mouvements successifs. Le mystère était total. Quoi qu'il en soit, l'objectif de 2% était quasiment atteint. Mais il restait une question en suspens: l'inflation baissera-t-elle en dessous de ce seuil – et se maintiendra-t-elle à ce niveau?

Le gouverneur de la Fed Jerome Powell
Le gouverneur de la Fed, Jerome Powel.Image: EPA

Le président de la Fed, Jerome Powell, était encore optimiste en décembre. Il a donc choisi de baisser les taux d'intérêt à long terme, par exemple pour les emprunts d'Etat ou les hypothèques. Janvier, février et mars ont passé – et l'inflation n'a plus baissé, elle a même augmenté. Powell a douté, les marchés ont douté, et les taux d'intérêt sont repartis à la hausse.

Les conséquences d'une guérison incomplète

Pourquoi ces hauts et ces bas si soudains? Pourquoi la baisse n'est-elle plus d'actualité? L'ancienne économiste de la Fed Claudia Sahm a une réponse, car contrairement à Powell, elle avait prédit cette situation. Sur son blog, elle explique que ce qui reste d'inflation est la «conséquence d'une guérison incomplète du Covid».

L'exemple type, c'est celui des voitures. Les prix des voitures neuves ont d'abord augmenté lorsque les chaînes d'approvisionnement mondiales se sont disloquées. Les constructeurs ne parvenaient plus à répondre à la demande. Les acheteurs se sont alors tournés vers les voitures d'occasion, dont les prix ont grimpé.

Mais les constructeurs étaient agiles, ils ont rapidement réorganisé leurs chaînes d'approvisionnement et les volumes de production ont vite retrouvé leurs niveaux «d'avant». En conséquence, dès 2022 les prix ont commencé à baisser. La pandémie n'avait cependant pas tout à fait dit son dernier mot.

Le prix des pièces de rechange a alors pris l'ascenseur, sans doute parce que les stocks étaient vides. Le prix des réparations – c'est-à-dire le montage de coûteuses pièces de rechange – a connu le même sort. Ça a enfin été le tour des primes d'assurance, au motif qu'il fallait anticiper ces réparations onéreuses. Les primes ont dernièrement été un important moteur de l'inflation.

La guérison partielle a impacté encore plus durement les coûts du logement. Mais ces séquelles apparaissent avant tout dans les statistiques et dans les statistiques seulement. Il n'empêche, elles pourraient avoir des conséquences globales.

Les Etats-Unis manquaient déjà de logements avant le Covid: la demande a alors explosé et la pénurie s'est aggravée. En 2022, les loyers ont donc grimpé en flèche. Deux ans plus tard, ce choc s'est certes atténué dans la vraie vie, comme le montre le nombre de nouveaux logements loués. Mais pas dans les statistiques.

2022 se répercute encore aujourd'hui sur les frais des propriétaires. Ces coûts sont fictifs, personne ne les paie réellement. Pour établir des statistiques, on se base cependant sur de simples estimations des propriétaires quant au coût de la location de leur logement. Des coûts qu'ils estiment moyennement bien. Leur calcul a souvent un an de retard sur d'autres indicateurs du marché.

La donne pourrait changer dans le monde

Aujourd'hui, ces coûts fictifs du logement pourraient néanmoins changer la donne à l'échelle de la planète: ils sont en effet la principale explication aux chiffres décevants de l'inflation pour janvier, février et mars. Il en irait autrement si les Etats-Unis calculaient comme l'Union européenne. L'inflation américaine serait alors déjà revenue à son niveau d'avant la pandémie – et tout le monde serait rassuré.

Powell n'aurait alors pas changé d'avis. Les marchés continueraient d'annoncer de fortes baisses des taux d'intérêt. Au lieu de cela, Powell s'oriente vers un nouveau choc des loyers. Il devrait changer de méthode de mesure, il y en aurait de meilleures, mais il n'ose pas, car sa crédibilité en souffrirait.

«C'est un choix risqué qui aura des conséquences globales»
Claudia Sahm

En conséquence, la BCE pourrait également maintenir ses taux directeurs plus longtemps à la hausse. Car en faisant l'inverse, cela provoquerait une trop forte dépréciation de l'euro par rapport au dollar. L'euro affaibli renchérirait les importations et alimenterait l'inflation.

Le chef de la banque centrale italienne, Fabio Panetta, a bien conscience de ce danger. Dans un discours, il a appelé ses collègues de la Banque centrale européenne à ne pas suivre l'exemple de Powell et à réagir immédiatement en abaissant les taux directeurs, une première fois en juin.

«Si l'on attend trop, on arrivera près de la limite inférieure effective. Ce sera inutile et désagréable», a déclaré Panetta, faisant référence à la limite de 0% d'intérêt. Et l''agence de presse Bloomberg de titrer:

«Panetta met en garde: les baisses des taux directeurs sont nécessaires pour éviter des taux ultra-bas»

Selon le directeur de la banque centrale italienne, l'économie européenne est de toute façon en équilibre instable. Elle doit en outre se confronter aux vents contraires des programmes d'austérité gouvernementaux et des taux d'intérêt élevés.

Si l'on n'y remédie pas rapidement, on risque de connaître une récession et une déflation, soit trop peu d'inflation. Dans ce cas, les dégâts ne pourront pas être réparés de sitôt – et des taux d'intérêt extrêmement bas deviendront nécessaires.

La Suisse aurait à nouveau des taux d'intérêt négatifs

Cette situation dans la zone euro contraindrait la Banque nationale suisse à ramener son taux directeur en territoire négatif. Sans quoi l'euro deviendrait encore plus faible par rapport au franc et les importations redeviendraient si bon marché que les prix stagneraient en moyenne, voire baisseraient. Le tourisme d'achat reprendrait de l'élan, et les propriétaires de logements auraient des taux d'intérêt encore plus bas.

(Adaptation française: Valentine Zenker)

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