Certains responsables politiques sont enthousiastes face à la perspective d'un taux d'impôt minimum mondialisé. Il va tout résoudre?
Sergio Rossi, professeur d'économie à l'Université de Fribourg: Ce n'est pas la solution à tous les problèmes, mais c'est un pas dans la bonne direction. Il va permettre de réduire la concurrence fiscale déloyale entre les pays, avec une sous-enchère qui tire toute l'économie mondiale vers le bas. Actuellement, si la Suisse baisse ses barèmes d'imposition, d'autres pays vont suivre. Au final, il y aura moins de recettes fiscales et donc moins de services publics. Si un Etat encaisse moins, il va devoir rééquilibrer son budget et donc couper dans les politiques sociales, la police, le système de santé ou l'éducation.
Concrètement, l'argent récupéré avec ce nouveau taux, cela représente quoi?
Selon mes estimations actuelles, cela devrait représenter quatre à cinq milliards de francs supplémentaires par année. Pour vous donner une idée, cette somme permettrait de construire quatre ou cinq hôpitaux, une vingtaine d'écoles ou d'augmenter les rentes AVS pour tous les retraités.
On entend déjà des craintes pour la Suisse. Selon vous, on va y gagner ou on va y perdre?
On va être gagnant en termes financiers et en termes de réputation. Si la Suisse joue le jeu, qu'elle va dans le sens de cet accord, je pense qu'elle va même pouvoir attirer des entreprises, notamment d'Irlande (réd: qui offre aujourd'hui une fiscalité très avantageuse aux sociétés). Si le taux d'imposition est le même partout, nous avons des arguments géographiques à faire valoir, nous avons une position très centrale pour une entreprise qui vise le continent européen. Et on a d'autres avantages qui vont au-delà de la fiscalité: la stabilité politique, le franc fort, le niveau de formation.
Le taux mondial a à peine été évoqué que certains cantons annoncent déjà des stratégies pour le contourner. C'est la bonne solution?
C'est une mauvaise solution qui va nuire à notre réputation. Et par effet ricochet, d'autres pays vont adopter la même stratégie. Cela va engendrer une nouvelle concurrence qui va tirer tous les pays vers le bas. Dans tous les cas, certaines entreprises vont continuer à chercher le pays où elles payeront le moins.
Mais si le taux minimum est fixé à 15%, comment est-ce qu'elles pourraient y échapper?
En réaction à ce taux minimum, on peut tout à fait imaginer que des pays créent de nouvelles niches fiscales. Si on augmente le barème mais qu'on permet aux entreprises de déduire davantage de coûts, elles vont payer comme avant, voire encore moins. En Suisse, par exemple, il existe des déductions fiscales pour les activités liées à la recherche. Une entreprise qui dépense deux milliards pour développer un outil informatique très utile grâce auquel elle gagne beaucoup d'argent pourra, ensuite, déduire ces deux milliards de ses bénéfices.