Qui dit aides facilitées, dit abus potentiels. Ces derniers, le Contrôle fédéral des finances (CDF) les traque depuis le début de la crise du coronavirus en mars 2020 et les premières mesures de soutien à l’économie.
Le dernier des nombreux rapports du «shérif des finances» de la Confédération met notamment le doigt sur les plus de 200 entreprises ayant indûment versé des dividendes alors qu’elles avaient demandé un crédit Covid garanti par la Confédération. Le directeur du CDF, Michel Huissoud, est formel: il faut réintroduire les contrôles avant d’accorder des prêts, contrairement à la pratique actuelle. Entretien.
Au début de l’été, vous disiez être «choqué» par le nombre de plaintes et d’abus. Le nombre de cas de dividendes distribués indûment vous choque aussi?
MICHEL HUISSOUD: Je trouve qu’il est important de réaliser des contrôles afin d’avoir une vision claire de la situation. Malgré les contrôles, il y a toujours des entreprises qui ne se tiennent pas aux règles qu’elles ont pourtant elles-mêmes signées au moment où elles ont demandé le prêt.
Cela vous surprend-il?
Je pense surtout que les entreprises sous-estiment les possibilités de contrôle de l’administration fédérale. Elles pensent que personne ne verra leur stratégie. Alors qu’au final, nous sommes assez efficaces.
Ce n’est pas le premier pointage du CDF à se pencher sur les aides Covid et les abus. Quelle est la tendance?
La tendance, c’est que ça va dans le bon sens: le chômage partiel (réd: RHT = Réduction d’horaire de travail) diminue fortement, le chômage de manière générale est au plus bas et c’est une bonne chose.
Concernant les indemnités pour cas de rigueur, elles sont distribuées tardivement. Elles sont même parfois versées aujourd’hui seulement, alors que la loi date de la fin de l’année dernière, certains cantons mettant du temps à appliquer le mécanisme. Il y a même d’autres cantons qui refusent carrément de verser des indemnités.
Donc aujourd’hui, il y a des abus qui pourraient être évités…
Tout à fait. Les RHT sont un bon exemple: il y a eu 1000 annonces à fin juillet. Sur celle-ci, 155 cas ont été contrôlés et 80% d’entre eux ont nécessité des corrections. Sur ces 80%, 10% ont mené à des plaintes pénales. Cela montre qu’il est nécessaire de remettre en place les contrôles avant l’approbation des RHT et non plus après, comme c’est le cas aujourd’hui. C’est-à-dire de revenir à la procédure ordinaire. Surtout que les contrôles réalisés par après sont longs et coûtent très cher. C’est la même chose pour les indemnités pour cas de rigueur: mieux vaut bien contrôler avant de payer et ainsi éviter de couteux contrôles a posteriori.
Est-ce que les aides d’urgence, accordées au détriment des contrôles, se justifient encore?
C’est surtout que ça fait un an et demi que nous sommes dans cette crise. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus dire que c’est urgent, que c’est une affaire de quelques heures pour la survie d’une société, etc. Au printemps 2020, c’était tout à fait justifié. Aujourd’hui, ça ne l’est plus.
Comment entrevoyez-vous les prochains mois voire années ? Est-ce que les abus sont inévitables?
Ce qui est embêtant, c’est qu’il y a environ 11 milliards de francs de prêts Covid qui sont dans les caisses des entreprises et qui doivent encore être remboursés dans les prochaines années.
C’est vrai qu’il y a des cas où l’argent a quitté la Suisse et ne reviendra jamais…
Oui, et l’obligation d’amortissements est difficile à mettre en place, car la Confédération n’a pas la base légale pour le faire. Cela veut dire que dans le pire des cas, ces 11 milliards de francs vont rester dans les entreprises et c’est à l’échéance que nous saurons s’ils sont remboursés ou pas. Une bonne nouvelle: il y a déjà environ trois milliards de francs qui ont été remboursés.
Ça vous inquiète?
Oui… Car c’est de l’argent qui est dehors, sous forme de prêt, et non pas de versement à fonds perdus.
A la fin, malgré le travail du CDF, il y aura de l’argent public perdu à jamais…
C’est certain. Et c’est d’ailleurs déjà le cas.