Quand la tempête s'abat sur les marchés, les investisseurs cherchent des refuges. Mais quel pays est encore sûr à l'heure actuelle? Les Etats-Unis, où Trump s'endette plus qu’aucun président avant lui? L’Allemagne, qui veut massivement s’endetter pour financer armée et infrastructures? Ou la Suisse, malgré ses taux directeurs ultra-bas et les droits de douane record imposés par le président américain?
Ces questions agitent les experts. Leurs réponses révèlent à la fois des avantages et des inconvénients pour la Suisse, avec des répercussions sur les taux d’intérêt, les impôts et le coût de la vie.
Robin Brooks, dans un billet sur la plateforme Substack, est affirmatif:
L'ancien chef stratège devises chez Goldman Sachs est aujourd’hui chercheur au Brookings Institute. A ses yeux, l’Allemagne n’est plus assez sûre pour être considérée comme un vrai refuge.
Les Etats-Unis non plus, d'ailleurs. Ils ne profitent plus d’aucune «prime de sécurité» sur leurs emprunts. Au contraire: ils doivent payer un surcoût par rapport à d’autres pays. Leur réputation de lieu sûr où investir, déjà érodée, a désormais complètement disparu, selon Brooks.
Ce basculement a pris effet lors du «Liberation Day», le «jour de libération» proclamé par Donald Trump. Ce jour-là, il a annoncé de nouveaux droits de douane, accusant le reste du monde d’avoir «pillé, saccagé et violé» les Etats-Unis pendant des décennies. Les marchés ont paniqué, et Washington a déclenché une crise.
Mais, contrairement aux crises précédentes, comme la crise financière de 2007 ou le choc du Covid, les investisseurs n’ont pas couru vers le dollar. Ils s’en sont détournés.
Hélène Rey, professeure d’économie à la London Business School, a étudié le phénomène dans une analyse basée sur de nouvelles données: les taux longs américains sont montés, le dollar a chuté. Les investisseurs ont vendu actions et obligations américaines, se repliant ailleurs, notamment sur la Suisse et ses obligations d’Etat. Hélène Rey explique:
L'économiste fait référence à ce que décrivait le Wall Street Journal récemment: Donald Trump progresse dans sa mainmise sur la banque centrale américaine, la Fed. Son chef économiste, Stephen Miran, pourrait devenir gouverneur et continuer à conseiller le président tout en siégeant à l’institution, pourtant indépendante. «Une situation sans précédent», selon le quotidien américain.
La Suisse, en revanche, est encensée par le chercheur en économie Robin Brooks: elle est le seul pays à bénéficier aujourd’hui d’une prime de sécurité plus grande qu’avant, et même record. Son statut particulier s’est encore renforcé. Il affirme:
Les avantages de ce statut se sont vérifiés cette semaine encore. Inquiets des montagnes de dettes et des pressions politiques sur les banques centrales, les investisseurs ont déclenché un «sell-off» mondial sur les obligations d’Etat de différents pays, d'après le Financial Times.
Les taux sur les obligations à 30 ans des Etats-Unis, de l'Italie, la France ou l’Allemagne se sont envolés à des niveaux inédits depuis dix ans. Au Royaume-Uni, ils ont atteint le plus haut sommet depuis 27 ans.
La Suisse, elle, n’a rien ressenti de cette tempête. Ses taux n’ont pas augmenté: ils ont stagné ou même baissé. Autour de nous, c’est la tempête; ici, le calme plat. En Europe, la hausse des taux menace certains budgets nationaux. En Suisse, leur baisse soulage les finances publiques, et donc les contribuables.
Mais la disparition du dollar comme valeur refuge pourrait aussi poser problème à la Suisse. Selon Karsten Junius, économiste en chef de la Banque J. Safra Sarasin, le franc suisse ne remplacera pas le dollar comme valeur refuge; il est trop petit pour cela.
Résultat: il s’appréciera encore plus fortement qu’auparavant, comme lors de la crise financière de 2007 ou celle de l’euro. Le franc s’était envolé, rendant l’industrie, le tourisme ou le commerce helvétiques trop chers. Pour éviter faillites et licenciements massifs, la Banque nationale suisse a instauré en 2015 un taux négatif record.
Et si Donald Trump allait plus loin encore? Adam Posen, président du Peterson Institute, met en garde:
Le risque: un krach du dollar. Et même le dernier refuge du monde, la Suisse, ne pourrait y échapper.
Adapté de l'allemand par Tanja Maeder