Les experts censés évaluer la valeur de Credit Suisse dérangent
Des milliers d'anciens actionnaires privés et institutionnels de Credit Suisse sont convaincus que la banque n'a pas été vendue assez cher à UBS en mars 2023. Ils ont donc saisi la justice pour signifier que le prix de vente de 3 milliards était sous-évalué. Certains se sont aussi rassemblés dans le cadre d'une sorte de recours collectif. Tous réclament un dédommagement plus conséquent.
Les plaignants ont déjà remporté quelques victoires collectives contre UBS. Le tribunal de commerce de Zurich a ainsi officiellement porté la valeur litigieuse à 50 milliards de francs cet été. «Il s'agit du plus grand litige que la Suisse ait jamais connu», selon Philipp Lennert. Il représente plusieurs centaines d'actionnaires privés et institutionnels avec son cabinet d'avocats au Liechtenstein. Il l'assure:
UBS doit désormais, sur ordre du tribunal, remettre des montagnes de documents jusqu'alors confidentiels, en particulier des évaluations internes et externes de Credit Suisse, qu'UBS et la banque disparue ont fait réaliser depuis octobre 2022. En outre, la justice a décidé de mandater deux experts indépendants chargés de déterminer la «valeur de continuité» de Credit Suisse au 19 mars 2023.
Des experts partiaux?
Le tribunal a misé sur Peter Leibfried, professeur à l'université de Saint-Gall et expert en comptabilité, ainsi que sur Roger Neininger, aujourd'hui consultant indépendant et ancien directeur de KPMG Suisse.
Mais cette décision a du mal à passer: les représentants de la partie plaignante, qui a déposé la première plainte devant le tribunal de commerce de Zurich, n'approuvent pas ce choix de spécialistes. Ils ont déposé un recours auprès du Tribunal fédéral suisse. Leandro Perucchi, avocat au cabinet zurichois du même nom, affirme:
En tant que spécialistes de la comptabilité et de l'audit, ils ont l'habitude de rendre compte du passé. La tâche qui les attend désormais, à savoir déterminer la valeur d'une entité, nécessite une faculté de projection. «Un exercice tout à fait différent, dont la théorie et la pratique n'ont rien à voir», ajoute l'avocat.
Leandro Perucchi dénonce un choix d'experts partial. Le professeur Peter Leibfried ne peut guère aller à l'encontre des intérêts d'UBS, qui versera 20 millions de francs à l'université de Saint-Gall d'ici 2030.
A écouter l'avocat, Roger Neininger n'est pas non plus complètement libre; à la tête de KPMG Suisse, il dirigeait la société d'audit en charge de Credit Suisse. Selon les actionnaires, les deux experts manqueraient par ailleurs de ressources et de personnel pour mener à bien une tâche aussi exigeante.
Tout le monde se connaît
Dans un petit pays comme la Suisse, où tout le monde se connaît d'une manière ou d'une autre, difficile donc de trouver des experts objectifs. Surtout que personne ne souhaite se mettre à dos la dernière grande banque suisse du territoire, une cliente potentielle.
L'avocat Leandro Perucchi a donc soumis au tribunal plusieurs noms de professeurs américains et de cabinets de conseil étrangers disposant du savoir-faire et des ressources nécessaires pour intervenir dans un délai raisonnable.
Le recours contre la nomination risque de retarder la procédure de quelques mois. Mais le requérant prend son mal en patience. «Il s'agit du cœur de notre différend: l'évaluation correcte de Credit Suisse», explique l'homme de loi.
Au total, 39 plaintes ont été déposées, certaines regroupant parfois des centaines, voire des milliers d'actionnaires. Les deux les plus importantes émanent de l'Association suisse de protection des investisseurs, basée à Saint-Gall, et de la start-up romande Legalpass, spécialisée dans les questions juridiques. Elles comptent respectivement environ 2000 et plus de 3000 anciens actionnaires.
Tous s'accordent toutefois sur la dernière proposition du tribunal de commerce: celui-ci souhaite ne donner accès aux documents remis par UBS qu'aux experts. Tous les plaignants s'y opposeront. En effet, ils veulent pouvoir consulter ces documents. C'est le seul moyen pour eux de comprendre comment l'évaluation de l'entreprise a été réalisée.
(Traduit et adapté par Valentine Zenker)