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Adolf Hitler

Les nazis se passionnaient pour la tapisserie de Bayeux

Pourquoi les nazis ont volé un fragment de cette tapisserie historique

Des millions de touristes ont défilé pour admirer l'historique tapisserie de Bayeux. Mais, avant eux, les nazis s'y intéressaient aussi de très près, on vous explique.
27.07.2025, 06:5827.07.2025, 06:58
Millie Horton-Insch / the conversation
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The Conversation

L'obsession des nazis pour l'art européen n'était pas un simple goût esthétique: elle constituait une pièce maîtresse du régime génocidaire d'Hitler et de son aspiration à la domination mondiale. La découverte d'un fragment de la tapisserie de Bayeux dans des archives allemandes en est une preuve supplémentaire.

A propos de l'auteur
Millie Horton-Insch est une Postdoctoral Research Fellow au département d'histoire de l'art du Trinity College à Dublin

Ce mois-ci, l'annonce de l'exposition au British Museum, en 2026, de la tapisserie de Bayeux - l'épopée brodée du XIe siècle représentant la conquête de l'Angleterre par Guillaume le Conquérant en 1066 - a suscité un grand enthousiasme. Mais la tapisserie avait déjà fait parler d'elle plus tôt cette année, dans une relative indifférence.

En mars, on apprenait qu'un fragment de la tapisserie de Bayeux avait été découvert en Allemagne, dans les archives de l'Etat du Schleswig-Holstein. Pour comprendre comment ce fragment a pu s'y retrouver, il faut se pencher sur un épisode aussi troublant que méconnu de l'histoire de la tapisserie: l'opération spéciale Bayeux (Sonderauftrag Bayeux), un projet mené par l'Ahnenerbe, l'institut de recherche historique rattaché aux SS.

FILE - This photo taken Wednesday, Sept. 18, 2019 shows the 11th century Bayeux tapestry chronicling the Norman conquest of England, in Bayeux, Normandy, France. (AP Photo/Kamil Zihnioglu, File)
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Une vue d'une partie de la monumentale tapisserie de Bayeux.Keystone

On a souvent noté que l'art occupait une place démesurée dans les préoccupations des nazis. Leur manipulation de la culture visuelle et matérielle doit être comprise comme une composante essentielle du régime génocidaire d'Hitler et de son ambition de domination mondiale.

A la recherche des preuves des mythologies «aryennes»

L'Ahnenerbe, placé sous l'autorité suprême de Heinrich Himmler, avait pour mission d'élaborer et de diffuser des récits historiques soutenant la mythologie centrale du régime nazi: la «supériorité de la race aryenne». Dans ce but, il supervisait des recherches prétendant s'appuyer sur des méthodes scientifiques irréfutables.

Mais il est établi de longue date que ces projets manipulaient délibérément les sources historiques afin de construire des récits fabriqués, servant à justifier des idéologies racistes. Pour ce faire, de nombreuses expéditions scientifiques furent organisées. Des chercheurs sillonnèrent le monde à la recherche d'objets pouvant faire office de monuments aux mythologies «aryennes». L'opération spéciale Bayeux s'inscrivait dans cette logique.

FILE - This file photo taken, Sept. 18, 2019 shows a detail of the 11th century Bayeux tapestry chronicling the Norman conquest of England, in Bayeux, Normandy, France. (AP Photo/Kamil Zihnioglu, File ...
On peut voir le roi Edouard le Confesseur.Keystone

L'intérêt des nazis pour la tapisserie de Bayeux peut surprendre les Britanniques, pour qui elle symbolise un moment fondateur de l'histoire nationale. Pourtant, de la même manière que des responsables politiques britanniques contemporains n'ont pas hésité à s'en emparer pour servir leurs agendas, l'Ahnenerbe s'en saisit.

Un premier projet en 1941 déjà

Le projet Sonderauftrag Bayeux visait à produire une étude en plusieurs volumes qui présenterait la tapisserie comme intrinsèquement scandinave. L'objectif était de la brandir comme une preuve de supériorité des Normands du haut Moyen Âge, que l'Ahnenerbe revendiquait comme les ancêtres des «Aryens» allemands modernes, descendants des vikings d'Europe du Nord.

Dès juin 1941, le projet est lancé sérieusement. Parmi les membres envoyés en Normandie pour étudier la tapisserie sur place figurait Karl Schlabow, expert textile et directeur de l'Institut du costume germanique à Neumünster, en Allemagne. Il passa deux semaines à Bayeux et, à la fin de son séjour, il emporta en Allemagne un fragment du tissu de doublure de la tapisserie.

Karl Schlabow, à droite, étudie la tapisserie en 1941.
Au centre, en uniforme, l’archéologue allemand Herbert Jankuhn, en blouse blanche, son collaborateur Karl Schlabow et à gauche le dessinateur Herbert Jeschke qui étudiait les couleurs de la tapisserieImage: Bayeux Museum

Bien que des premières sources ont suggéré que Schlabow aurait prélevé ce fragment plus tard, lorsque la tapisserie fut transférée par les nazis à Paris, il est plus probable qu'il l'ait fait en juin 1941, alors qu'il se trouvait encore à Bayeux avec les autres membres du projet.

Dans un croquis réalisé pendant cette visite par Herbert Jeschke - artiste chargé de produire une reproduction peinte de la tapisserie -, on voit Jeschke, Schlabow et le directeur du projet, Herbert Jankuhn, penchés sur la tapisserie. Le dessin est accompagné du titre enthousiaste «Die Tappiserie!», comme un cri de joie devant le privilège d'étudier de si près ce chef-d'œuvre médiéval.

Les scientifiques niaient leurs liens avec Hitler

Pour intégrer l'Ahnenerbe, Schlabow, comme les autres membres du projet, fut enrôlé dans les SS. Il portait le grade de SS-Unterscharführer, équivalent approximatif de sergent dans l'armée française. Après la guerre, beaucoup de membres de l'Ahnenerbe nièrent toute adhésion aux idées nazies.

Mais des documents saisis par les services de renseignement américains à la fin du conflit montrent qu'on pouvait être refusé à l'Ahnenerbe, par exemple, si l'on avait eu des amis juifs ou exprimé des idées communistes. Il fallait donc, au minimum, afficher son adhésion aux principes du nazisme pour être accepté dans ses rangs.

Il reste difficile de savoir exactement ce que les membres de l'Ahnenerbe espéraient découvrir ou prouver à travers cette étude de la tapisserie. Il semble que le simple fait d'organiser une étude illustrée et d'envoyer des chercheurs examiner l'objet original suffisait à s'en approprier symboliquement la valeur historique, comme un monument de l'héritage aryen. L'influence supposée des styles scandinaves dans les motifs de la tapisserie devait être au cœur de leurs conclusions - mais le projet ne fut jamais achevé en raison de la défaite allemande.

Comme beaucoup de membres de l'Ahnenerbe, Schlabow reprit ses recherches après la guerre, cette fois au musée d'Etat du Schleswig-Holstein, au château de Gottorf.

Schleswig, Blick auf das Schloss Gottorp, Gottorf, See *** Schleswig, view of the castle Gottorp, Gottorf, lake
Une carte de 1935 présentant le Château Gottorf.Image: www.imago-images.de

La redécouverte, même d'un infime fragment, d'un tel objet médiéval reste un événement exceptionnel. Mais il est essentiel de replacer cette trouvaille dans le contexte de son prélèvement. Il n'est pas surprenant que Schlabow se soit senti légitime à voler ce morceau de tapisserie: le régime auquel il appartenait considérait cet objet comme faisant partie de son héritage, un droit de naissance d'«Aryen allemand».

Cette découverte nous rappelle opportunément que le passé est plus proche qu'on ne le pense, et qu'il reste encore beaucoup à faire pour éclairer les zones d'ombre laissées par les pratiques idéologiques du passé. Le fragment retrouvé est actuellement exposé au Schleswig-Holstein, mais il rejoindra le Musée de la Tapisserie de Bayeux en Normandie lors de sa réouverture en 2027, où les deux parties seront réunies pour la première fois depuis 1941.

Cet article a été publié initialement sur The Conversation. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original

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