International
ukraine

Cette invention suisse révolutionne l'aide humanitaire en Ukraine

Voilà comment la Suisse parvient à innover l'aide humanitaire en Ukraine.
Œuvrant pour l'aide humanitaire en Ukraine depuis des années, Mario Trutmann connaît bien la situation des bénévoles qui s'affairent à proximité du front. Une idée suisse leur vient en aide.Image: EDA / Imago, montage watson

«Tout est arrivé très vite»: ce Suisse est au cœur de la guerre en Ukraine

Le Suisse Mario Trutmann coordonne l'aide humanitaire en Ukraine. Il connaît les deux côtés du front. Il raconte comment il a vécu le début de la guerre, et ce que la Suisse a inventé pour les plus courageux des bénévoles ukrainiens.
01.08.2025, 07:0001.08.2025, 07:00
Stefan Bühler / CH media
Plus de «International»

Mario Trutmann se rappelle dans les moindres détails de la nuit du 23 au 24 février 2022. La nuit où la Russie a envahi l'Ukraine.

«J'étais couché dans mon lit, chaussures aux pieds, mon sac "d'urgence" juste à côté. Impossible de dormir.»

Une ville «tout à fait ordinaire»

«On pouvait entendre le début de la guerre»
Mario Trutmann

Des nouvelles de l'avancée des troupes russes défilaient dans les médias et, bientôt, le grondement des impacts au nord de la ville se fit entendre. C'était «surréaliste», un choc pour lui. Car, jusqu'à ce jour, Kiev, où Mario Trutmann vivait, était «une ville tout à fait ordinaire».

Une ville que le Zurichois de 43 ans, qui avait appris le russe au lycée, avait découvert lors de séjours privés. Alors étudiant, il avait voyagé en Ukraine et à Kiev. Il y avait de nombreux amis et connaissances. Il s'y sentait comme à la maison.

Protection et soutien psychologique pour les enfants: Mario Trutmann visite une œuvre de bienfaisance ukrainienne.
Mario Trutmann visite une œuvre de bienfaisance ukrainienne.Image: dr

On pressentait certes un conflit avec la Russie. Il couvait depuis 2014 et l'occupation des régions orientales et de la péninsule de Crimée. Dans la capitale ukrainienne, nombreux étaient néanmoins ceux qui préféraient ne pas y penser.

Mario Trutmann n'en faisait pas partie. Car c'était précisément la guerre russe qui justifiait sa présence. Ce Suisse, de grande taille et à la voix grave, travaille depuis 2015 en Ukraine, tantôt pour l'ONU, tantôt pour la Suisse. Mais toujours au nom de l'aide humanitaire en faveur des populations menacées et affectées.

Un portait de Staline au checkpoint

Mario Trutmann connaît les deux côtés du front. Sa première mission en Ukraine l'a conduit en 2015 dans la région de Donetsk, occupée par des séparatistes pro-russes. «En passant la frontière aux checkpoints, il y avait des photos de Staline», se souvient-il.

«C'est à ce moment-là qu'on a compris qu'on entrait dans un autre monde»

Un monde où les dirigeants locaux de facto ne respectent pas nécessairement le droit international.

Staline comme symbole de la domination russe: Trutmann à un checkpoint sur les territoires séparatistes le 14 juin 2018.
Staline comme symbole de la domination russe: une photo de Mario Trutmann à un checkpoint sur les territoires séparatistes le 14 juin 2018.Image: dr

Des voyages aussi risqués que nécessaires

Ces voyages à l'est pour le compte de l'Unocha, l'agence qui coordonne les affaires humanitaires pour l'ONU, s'avéraient délicats, mais nécessaires malgré tout, comme il le raconte aujourd'hui:

«L'aide humanitaire est neutre»

«Celui qui en a besoin doit la recevoir dans la mesure du possible», indépendamment de sa position politique. Partout, les mêmes nécessités: eau potable, nourriture, toit, soins médicaux, éducation scolaire pour les enfants.

Les représentants de l'Unocha ont suscité beaucoup de méfiance dans les régions séparatistes. Les nouveaux dirigeants locaux soupçonnaient certaines organisations humanitaires d'espionnage. Mario Trutmann utilise à plusieurs reprises le mot «frustrant» pour évoquer les conditions de travail de l'époque, et en dresse un constat désespérant:

«On voit la détresse des gens, on aurait même les moyens de les aider, mais on n'a pas le droit.»

Beaucoup de scénarios, et pourtant

La dernière visite du Suisse dans la région de Donetsk remonte à 2021, l'année où la nouvelle incursion russe commençait à se profiler. Avec un déploiement de troupes dans la zone frontalière avec l'Ukraine, «comme s'il s'agissait d'un exercice», se souvient-il. «Et peut-être aussi pour tester la réaction de l'Occident». Pour les collaborateurs des organisations humanitaires, le signal était clair:

«A l'Unocha, nous avons développé dès novembre 2021 des scénarios sur les besoins auxquels nous serions confrontés si une guerre éclatait.»

Un travail qui n'a cessé de gagner en importance depuis. Mario Trutmann poursuit son récit:

«On s'est attendus à tout, sauf à ça»

Parmi les scénarios envisagés, une escalade à l'est du pays, peut-être aussi au nord depuis la Biélorussie, «mais cette grande attaque jusqu'à Kiev, personne ne l'avait prévue».

Le 24 février 2022, le matin suivant la nuit qu'il avait passée avec ses chaussures aux pieds, le Zurichois s'est d'abord rendu au bureau de l'Unocha pour «récupérer les talkies-walkies et rassembler les documents». Ensuite, le personnel de l'ONU et d'autres humanitaires se sont rassemblés dans un hôtel du sud-ouest de la ville. Sur le toit, de grandes lettres «UN» ont été installées, pour se protéger des attaques aériennes.

Le début des opérations

«C'est de là que nous avons organisé les premiers secours». Il s'agissait de prendre en charge des millions de déplacés à l'intérieur du pays. Avec des tentes chauffées en guise d'abris, d'immenses soupes populaires à la gare, des soins pour les blessés.

Peu après, les organisations internationales ont transféré leurs sièges à Lviv, plus à l'ouest. Après des premiers jours chaotiques, l'aide a commencé à arriver depuis l'étranger. D'abord aux points de passage frontaliers avec la Pologne, la Moldavie et la Roumanie, où des colonnes de réfugiés se sont formées. Mario Trutmann, dont la tâche principale était de coordonner des centaines d'offres d'aide, le reconnaît:

«C'est arrivé à une vitesse impressionnante»

La situation a évolué avec le temps. L'armée ukrainienne a repoussé les Russes et de vastes régions ont été libérées. Les besoins humanitaires n'ont, eux, pas disparu. Plus d'un tiers de la population, soit environ 12,7 millions de personnes, en dépend. Depuis, Mario Trutmann avait commencé une nouvelle mission à Kiev, au sein de l'équipe humanitaire de l'ambassade suisse. Jusqu'à présent, la Suisse a octroyé 690 millions de francs à la coopération au développement et aux activités de promotion de la paix.

«L'aide humanitaire en Ukraine est une histoire à succès», déclare Mario Trutmann.
«L'aide humanitaire en Ukraine est une histoire à succès», déclare Mario Trutmann.Image: EDA

Il n'y a pas que les infrastructures détruites, les écoles et les hôpitaux endommagés, les champs de mines à déminer. Les conséquences sont aussi sociales, comme l'explique le Zurichois:

«Les enfants grandissent sans pères, car de nombreux hommes servent au front. Beaucoup de morts de la guerre sont très jeunes»

Leurs survivants ont besoin de soutien, tout comme toutes les familles qui ont perdu quelqu'un. En ce sens, la clarification des avis de disparition contribue à soulager psychologiquement les familles et leur permet d'accéder aux prestations sociales.

Une assurance pour les bénévoles

Et puis certains développements font prononcer à Mario Trutmann cette phrase surprenante:

«L'aide humanitaire en Ukraine est une réussite»

Parce que la collaboration avec la société civile et les autorités fonctionne bien en comparaison avec d'autres régions. Et parce que la guerre en Ukraine fait avancer l'aide humanitaire elle-même. Mario Trutmann participe à un programme novateur. Ce dernier inclut un modèle typiquement suisse: une assurance.

Celle-ci s'adresse aux bénévoles actifs sur une bande de centaines de kilomètres de long et d'environ 25 kilomètres de large et située directement derrière le front. «Les organisations internationales ne peuvent pas envoyer leurs collaborateurs dans cette zone en raison des risques importants», selon notre interlocuteur. Ce sont donc des organisations locales ukrainiennes qui fournissent le nécessaire aux derniers civils restants ou qui procèdent aux évacuations, souvent au péril de leur vie.

Pour cela, ils n'ont pas seulement besoin de casques, de gilets de protection et d'ambulances sécurisées fournis par l'Occident. Ils ont eux-mêmes besoin de soutien en cas d'accident lors de leurs missions risquées ou s'ils sont victimes d'actes de guerre. Jusqu'à présent, personne ne payait pour leurs soins ou pour dédommager leurs survivants. Mais depuis peu, il existe, pour la première fois au monde sous cette forme, une assurance-vie et accidents pour les volontaires. Elle est initiée, financée et encouragée par la Suisse et ses experts.

La Suisse innove toute la branche

La Confédération collabore à cet effet avec deux partenaires: le Relief Coordination Centre ukrainien et l'ONG internationale Nonviolent Peaceforce, dont le siège est en Suisse. Actuellement, 4683 volontaires sont assurés. Jusqu'à présent, 42 cas de sinistres ont été enregistrés, pour lesquels des prestations d'une valeur totale d'environ 25 500 francs ont été versées. Les incidents allaient d'accidents de voiture mortels à des blessures graves suite à des tirs de drones lors d'évacuations, en passant par des accidents en cuisine.

Le projet fait figure de principale innovation de l'aide humanitaire dans le pays à ce jour. Les bénévoles locaux sont souvent les premiers sur place et sont les plus efficaces, bien qu'ils ne disposent en revanche que rarement d'une couverture financière. Mario Trutmann conclut:

«Ces gens vont là où l'accès nous est interdit. C'est donc la moindre des choses que nous prenions en charge leurs risques»

(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)

La guerre en Ukraine en images
1 / 18
La guerre en Ukraine en images
Un bâtiment en flammes après un bombardement russe, Kiev.
partager sur Facebookpartager sur X
L'Ukraine attaque une ville russe située à 1300 km de ses frontières
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
0 Commentaires
Votre commentaire
YouTube Link
0 / 600
L'Italie va larguer de l'aide humanitaire à Gaza
L'Italie va larguer de l'aide humanitaire sur la bande de Gaza, a annoncé vendredi le ministère de la Défense. Celle-ci est menacée, selon l'ONU, de «famine généralisée» après 22 mois de guerre entre Israël et le Hamas.
«J'ai donné le feu vert à une mission impliquant des moyens de l'armée de terre et de l'armée de l'air pour transporter et larguer des fournitures de première nécessité pour les civils de Gaza», a indiqué le ministre de la Défense Guido Crosetto dans un communiqué.
L’article