Qu'il s'agisse de l'industrie automobile, de la construction mécanique ou de la chimie, il ne se passe guère de jour sans que l'on parle de faillites, de licenciements ou de fermetures d'usines en Allemagne. L'économie du pays voisin traverse une crise qui se distingue des précédentes phases de faiblesse, car elle ne va pas simplement disparaître par elle-même. Au contraire, un changement structurel est en cours, un changement qui altère fondamentalement la plus grande puissance économique d'Europe. La «désindustrialisation» est le mot tendance ces temps chez nos voisins.
Contrairement aux années 1990, lorsque l'Allemagne était considérée comme «l'homme malade de l'Europe», le taux de chômage est faible. En parallèle, le faible taux de natalité entraîne une pénurie de main-d'œuvre en de nombreux endroits. Mais les nouveaux emplois se créent surtout dans le secteur des soins, de la santé ou dans le service public, des branches proches de l'Etat. Dans l'industrie, 7000 postes sont perdus chaque mois; ce secteur emploie déjà moins de 20% de la population active.
Les conséquences sociales sont déjà dramatiques à certains endroits: «L'Allemagne a une structure industrielle comme la Suisse»: tout est largement imbriqué, explique Jens Südekum, professeur d'économie politique à Düsseldorf.
L'idée que le «feu tricolore», le gouvernement éclaté de l'Allemagne composé du SPD, des Verts et du FDP, sont responsables de la crise est une thèse populaire.
Mais la production industrielle est déjà en baisse depuis 2017. Jens Südekum évoque de profonds bouleversements:
Pour les produits de masse, l'Allemagne ne retrouvera pas sa compétitivité; ce dont elle a besoin, c'est d'une qualité élevée et d'innovations techniques.
Les économistes sont largement d'accord pour dire que le gouvernement du chancelier Scholz a aggravé beaucoup de choses par sa «trajectoire erratique» (Südekum). «Certes, le ‹feu tricolore› n'a guère eu le temps de faire beaucoup d'erreurs, car il était occupé par la crise résultant de l'attaque russe contre l'Ukraine», explique Clemens Fuest, président de l'institut Ifo de Munich. «Mais le gouvernement n'a pas su le contrebalancer».
La coalition, explique Clemens Fuest, aurait pu par exemple stopper l'abandon de l'énergie nucléaire et ainsi faire baisser les prix de l'énergie. Il dit que des mesures pour relancer la croissance ont certes été discutées, mais n'ont pas été mises en œuvre faute d'accord entre les partenaires de la coalition.
Le fait que l'Allemagne ait débranché ses trois dernières centrales nucléaires au printemps 2023 a suscité de très nombreuses critiques compte tenu de la hausse des prix de l'énergie.
Tous les autres pays ajoutent au moins une source conventionnelle, précise-t-il.
«Ce désavantage ne peut pas non plus être simplement compensé par des subventions, car le l'Allemagne en tant que site économique est globalement affaiblie par cette politique énergétique», déclare Stefan Kooths. Quant au président de l'institut Ifo de Munich, Clemens Fuest, il accuse le «feu tricolore» d'insouciance: «Dans un pays où le soleil ne brille pas beaucoup et où le vent ne souffle pas fort, il aurait été plus intelligent de tester d'abord si cela fonctionne de miser uniquement sur les énergies renouvelables avant d'éteindre l'ancien système».
L'Allemagne a dégringolé dans le classement des sites économiques établi par l'institut de management IMD de Lausanne: de la sixième place en 2014, elle est passée à la 24e. Les causes sont multiples: une bureaucratie galopante, notamment au niveau de l'UE. A cela s'ajoutent des prestations sociales et des taxes qui créent de mauvaises incitations. «Les gens ne sont pas paresseux, ils ne sont tout simplement pas stupides», dit Kooths.
Il est incontestable que l'Allemagne devrait investir davantage dans ses infrastructures: les trains en retard et les ponts qui menacent de s'effondrer sont devenus les symboles d'un gigantesque retard d'investissement. La question de savoir si le frein à l'endettement doit être supprimé ou assoupli pour le résorber est controversée non seulement dans le monde politique, mais aussi parmi les économistes.
Kooths défend l'instrument inscrit dans la constitution allemande depuis 2011: «Le frein à l'endettement oblige à fixer des priorités – et c'est une bonne chose». Le gouvernement en feu tricolore aurait échoué parce qu'il a fixé de mauvaises priorités en matière de dépenses.
Südekum voit les choses un peu différemment. Selon lui, après la crise financière de 2008, le frein à l'endettement avait un sens, mais il s'agit désormais d'une restriction problématique qui ne doit certes pas être supprimée, mais réformée:
Selon lui, cela doit également être financé par des crédits.
Pour les pays voisins de l'Allemagne, la faiblesse de la croissance ne signifie rien de bon, même si la Suisse peut sans doute continuer à se réjouir de l'immigration de personnel qualifié, comme le dit Kooths. «Mais au final, la Suisse en souffre aussi», explique l'économiste, d'autant plus que l'industrie d'exportation allemande a toujours été un canal important permettant aux fournisseurs des pays voisins d'atteindre le marché mondial.
La réélection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis rend l'avenir encore un peu plus sombre. En effet, le républicain a annoncé qu'il défendrait sans pitié les intérêts économiques de son pays. Des guerres commerciales pourraient naître de cette décision. Si Trump mettait ses annonces à exécution, les exportations allemandes vers les Etats-Unis pourraient chuter de 15%, selon une étude de l'institut Ifo.
Kooths se montre toutefois optimiste: contrairement au cas de la Chine, où Trump veut utiliser le commerce comme moyen de pression politique et pourrait donc être prêt à payer plus cher pour nuire aux Chinois, il pense qu'une réduction mutuelle des droits de douane entre les Etats-Unis et l'UE est possible.
Si Trump appliquait ses menaces, les entreprises allemandes pourraient délocaliser davantage de sites de production en Amérique afin de contourner les droits de douane. «Elles pourraient continuer à faire beaucoup de profits, mais plus en Allemagne», explique Südekum. Un coup d'œil sur l'indice boursier allemand, qui vole ces jours-ci de record en record, montre que la santé de l'économie nationale et celle des entreprises sont déjà partiellement découplées. A la bourse, la crise n'est pas encore perceptible.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci