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Les Allemands sont tendus: mais que se passe-t-il?

epa11065401 Tractors stand queued up in front of the Brandenburg Gate with the TV tower in the background during a nationwide farmers' strike, in Berlin, Germany, 09 January 2024. Farmers went on ...
La manifestation des agriculteurs à Berlin a attiré plus de 100 000 personnes.Keystone

Les Allemands sont tendus: mais que se passe-t-il chez nos voisins?

L'Allemagne, d'habitude, un roc stable au milieu d'une Europe parfois turbulente, est en ce début d'année emportée par une vague de contestations dont elle n'a pas l'habitude. L'économie est sous pression tout comme la politique.
27.01.2024, 18:5628.01.2024, 03:33
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Rien ne va plus au pays de Goethe. Si l'Allemagne reste le pays le plus puissant de l'Union européenne et la locomotive politique et économique du Vieux-Continent, elle connaît en ce mois de janvier quelques secousses politiques. Le pays apprécie d'habitude pourtant très peu de faire des vagues à moins que ce que ne soit absolument nécessaire. Car il faut dire que notre voisin du Nord-Est, si on le compare au reste de l'Europe occidentale, est un genre de «grande Suisse» de 83 millions d'habitants: il jouit d'une économie stable, les relations entre sa population et sa classe politique sont plutôt bonnes et le peuple a confiance dans les institutions.

Dans le sillage de la guerre en Ukraine et de l'inflation qui touche toute l'Europe, l'Allemagne est entrée en récession en 2023. Une situation qui devrait se poursuivre cette année. Et qui provoque des remous: le gouvernement a dû réduire — c'est la justice allemande qui le lui impose — de 16 milliards les dépenses de l'Etat pour 2024. Une des mesures proposées, courant décembre: couper certaines des subventions aux agriculteurs, pour économiser un peu plus de 900 millions.

La grogne des agriculteurs

Les levers de boucliers sont immédiats. Le gouvernement décide de rétropédaler début janvier, après les vacances de Noël, mais il est déjà trop tard et la colère gronde. Les paysans allemands ne sont pas les seuls: les Français, les Britanniques et bien d'autres pays européens voient leurs agriculteurs se soulever, pour raisons diverses.

En Allemagne, c'est la pression constante sur les prix et l'augmentation des coûts liés à l'inflation qui mettent les paysans en difficulté. Des différences de quelques centimes qui se transforment en plusieurs dizaines, puis milliers d'euros lors du bouclage des factures à la fin de l'année. Les mesures d'économies choisies par le gouvernement, soit la fin d'une aide sur le diesel pour les agriculteurs (20 centimes par litre) et la levée de l'exemption d'imposition sur les tracteurs, ont été la goutte de trop.

Les agriculteurs allemands manifestent à Berlin

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Les agriculteurs allemands manifestent à Berlin
Des milliers de tracteurs devant la Porte de Brandenbourg.
source: sda / clemens bilan
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Le 15 janvier, les paysans allemands décident de «monter à Berlin» pour faire preuve de leur mécontentement face au gouvernement et à sa bureaucratie qu'ils jugent excessive. Près de 100 000 producteurs et des milliers de tracteurs défilent à quelques centaines de mètres du Parlement. L'Allemagne compte plus de 600 000 agriculteurs.

epa11087913 Trucks stand in a row in front of the Victory Column during a protest of truckers in Berlin, Germany, 18 January 2024. Farmers in Germany went on a nationwide strike to protest the federal ...
Le 18 janvier, les chauffeurs de poids lourds sont venus protester avec les agriculteurs.Keystone

Les appels à la reformation d'un gouvernement et à la démission d'Olaf Scholz se multiplient. La coalition «tricolore» au pouvoir est surnommée Ampel dans la langue de Goethe, à l'image des feux de signalisation et des couleurs des trois partis au pouvoir: les sociaux-démocrates (rouge), les Verts et les libéraux (jaune). Le fait que les mesures soient décidées par des politiciens de gauche et plutôt urbains passe assez mal auprès de certains agriculteurs, alignés sur la droite des Chrétiens-démocrates, voire plus à droite encore.

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«Le fléau de notre pays»: le chancelier Olaf Scholf, le vice-chancelier Robert Habeck et Annalena Baerbock, ministre des affaires étrangères et cheffe des Vertes.Keystone

Les tensions ont atteint leur paroxysme début janvier. Le numéro deux du gouvernement, le vice-chancelier Robert Habeck, ministre de l'Economie et du climat, a été pris à partie par des agriculteurs. Alors qu'il revenait de vacances en ferry, dans le nord du pays, le port vers lequel il se rendait a été submergé par des manifestants du secteur paysan. Le capitaine du bateau a décidé de faire machine arrière, craignant un incident. Une situation qui pourrait prêter à sourire, si elle n'illustrait pas les tensions fortes qui se sont ensuite manifestées à Berlin.

Grève des cheminots

Car les agriculteurs ne sont pas les seuls à grogner. La protestation se répand aux artisans et aux commerçants, qui souffrent de plus en plus de la baisse de leurs marges. Les chauffeurs poids lourds ont décidé de faire grève, tout comme certains ouvriers. Chez les cheminots, les revendications sont plus «classiques»: ils veulent une augmentation de salaire pour faire face à l'inflation. Ils veulent aussi adapter leur temps de travail et passer d'une semaine de quatre jours de 38 heures à 35 heures. Mercredi dernier, ils entamaient un arrêt total, qui doit durer jusqu'au 29 janvier. Dans un pays où la grève est l'exception et pas un outil syndical comme un autre, celles en cours sont d'autant plus marquantes.

L'inflation est au cœur de ces tensions. Elle touche les travailleurs, mais aussi l'ensemble des consommateurs allemands. Avec 6% d'inflation en 2023, le pays est entré dans une légère récession. Face à elle, la croissance française avait fière allure en 2023. Une France qui «rattrape son retard» face à une Allemagne «à la traîne»? C'est en tout cas ce qu'estimait l’éditorialiste du Spiegel, le grand magazine de gauche allemand, Michael Sauga, en septembre dernier.

«Le président Macron est impopulaire, mais sa politique est une réussite. Ses réformes ont provoqué un essor qui manque cruellement à l'Allemagne»
Michael Saugader spiegel

Sa chronique a fait réagir outre-Rhin. Il faut dire que le titre, «La France, une Allemagne en mieux» avait tout de la provocation dans un pays où on a l'habitude de ricaner gentiment en regardant le voisin européen, chez qui les soubresauts populaires et le chaos gouvernemental semblent faire partie du cahier des charges.

Durant l’ère des chanceliers Gerhard Schröder et Angela Merkel (de 1998 à 2021), l'Allemagne a consolidé sa place de numéro 1 européen, notamment après l'introduction de l'euro en 2002. Elle a aussi mieux vécu la crise économique de 2008 que la France ou l'Italie. Cette situation a conforté les Allemands dans leur statut d'exception européenne.

«La République fédérale allemande avait souscrit depuis le début du millénaire une sorte d'abonnement à la prospérité éternelle»
Michael Sauga

Cela fait vingt ans que les Allemands parvenaient à éviter les crises qui n'arrivaient qu'aux autres. Cette fois-ci, la crise les touche de plein fouet. Et ils n'ont pas l'habitude.

Les manifestations contre l'AFD

La politique n'est pas en reste. La semaine dernière, près de 1,4 million de personnes sont descendues dans les rues des villes allemandes pour montrer leur opposition au parti populiste et nationaliste Alternative pour l'Allemagne (AfD). Au moins 100 000 personnes dans la capitale, 70 000 à Cologne ou à Francfort. Le record revient à Munich, qui a vu plus de 100 000 personnes arpenter ses rues — autant qu'à Berlin, dans une ville qui compte trois fois moins d'habitants. La police a dû limiter le nombre de manifestants pour raisons de sécurité pure.

People hold up their cell phones as they protest against the AfD party and right-wing extremism in front of the Reichstag building in Berlin, Germany, Sunday, Jan. 21, 2024. (AP Photo/Ebrahim Noroozi)
Devant le Reichstag allemand, le 21 janvier dernier. Keystone

Ces manifestations font suite aux révélations du média en ligne correctiv. L'article nommé «Un plan secret contre l'Allemagne» détaille une réunion des cadres de l'AFD, en novembre dernier, au cours de laquelle un invité bien spécial a évoqué la possibilité de faire une utilisation massive de la «remigration». Ce concept implique le renvoi dans leur pays d'origine des étrangers présents en Allemagne, mais aussi dans ce cas des citoyens allemands, détenteurs du passeport, mais d'origine étrangère.

People gather as they protest against the AfD party and right-wing extremism in Frankfurt/Main, Germany, Saturday, Jan. 20, 2024. (AP Photo/Michael Probst)
Dans le centre-ville de Francfort.Keystone

Cet invité, c'est Martin Sellner, un militant autrichien d'extrême-droite, proche du groupe anti-Islam Pegida. Il a présenté son — très hypothétique — projet destiné à renvoyer environ deux millions de personnes en Afrique du Nord. Ces révélations ont suscité un énorme tollé dans l'opinion publique. L'AfD a indiqué ne pas adhérer au plan proposé par Sellner, mais l'argument n'a pas suffit à convaincre.

D'autant plus que la réunion a eu lieu à Potsdam, une petite ville allemande qui jouxte la périphérie de Berlin, dans un manoir qui fait face au quartier de Wannsee, l'endroit où les nazis ont décrété, en 1942, la «solution finale» pour les Juifs. Appel du pied de la part de l'AfD aux nostalgiques du Troisième Reich? C'est en tout cas ce qu'a estimé la ministre de l'Intérieur, la sociale-démocrate Nancy Faeser. Dans la foulée, d'autres représentants politiques ont demandé l’interdiction du parti et la justice allemande examine les possibilités pour couper son accès aux fonds publics.

La formation, née en 2013 autour d'un programme eurosceptique, a depuis pleinement embrassé des idées anti-immigration, anti-islam et conspirationnistes durant le Covid. Le parti s'est stabilisé à 10,3% d'électeurs lors des dernières élections de 2021. Il est actuellement crédité de 20% dans les sondages. Fait sociologique intéressant: il fait un carton dans les anciens territoires de l'Allemagne de l'Est.

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