Il y a deux mois, le 7 octobre, un massacre d’une effroyable cruauté frappait des civils sans défense dans le sud d’Israël. Au petit matin, des commandos du Hamas en provenance de la bande de Gaza toute proche semaient la terreur dans des kibboutz, décimaient les participants d’une rave-party. Bilan: 1200 morts, 240 otages capturés. L’attaque, inédite par son ampleur, terrifiait les Israéliens, qui voyaient ressurgir les pogroms et le glaçant processus d’extermination, si méthodique, de la Shoah.
Des choix du gouvernement israélien participaient de cette faillite sécuritaire. Tout à son entreprise d’expansion dans les territoires occupés, requérant la présence de forces armées pour protéger les colons, il avait négligé la protection des habitations du Néguev. De même, il avait ignoré des avertissements faisant état d’une possible opération du Hamas à cet endroit.
La réplique d’Israël s’annonçait d’autant plus terrible que les bases sur lesquelles il repose – Etat créé par la communauté internationale dans un environnement hostile – sont somme toute fragiles. Le Hamas était parvenu à son but: il plongeait les Israéliens dans une profonde angoisse existentielle, obligeant Tsahal à répliquer durement dans la bande de Gaza, à coup de bombardements tuant plus de civils que d’hommes en armes: il y aurait plus de 16 000 morts côté palestinien, dont 70% de femmes et de mineurs.
Le droit d’Israël de se défendre, que seuls les opposants à son existence contestent et qui ne doit pas être mis dans le même sac que l’action terroriste du Hamas, a pris un côté vengeur où la vie des Palestiniens paraît compter bien peu. Or la vie des Palestiniens compte sur une terre qui est aussi la leur, et ce, depuis des siècles.
Sans doute Israël, qui a vu les images de groupes de Palestiniens en liesse, le 7 octobre, au retour de commandos du Hamas ramenant leur butin humain mort ou vif à l’arrière de pickups, considère-t-il la population gazaouie pour partie complice de la tuerie de masse perpétrée ce jour-là.
L’autre folie est celle qui a gagné le monde à compter du massacre du 7 octobre à Be'eri et dans d'autres kibboutz alentours, signal de départ d’une grande quinzaine antisémite qui se prolonge. Sous prétexte de la critique d’Israël, c’est sa négation qui est à l’œuvre. Négation qu’on retrouve dans le slogan repris en chœur en Occident, singulièrement sur les campus américains, pris d’une passion antijuive:
Mercredi, une diplômée du prestigieux MIT (Massachusetts Institute of Technology), née d’une mère juive et d’un père musulman originaire d’Afghanistan, elle-même «fière présidente» du MIT Israel Alliance, une structure fondée après le 7 octobre pour répliquer aux propos antisémites et défendre le droit d'exister de l'Etat hébreu, a témoigné devant un public du Parti républicain d’horreurs sorties de la bouche de collègues du MIT. Telles que:
“I was forced to leave my study group because my group members told me that the people at the Nova music festival deserved to die because they were partying on stolen land.”
— Marina Medvin 🇺🇸 (@MarinaMedvin) December 6, 2023
MIT. pic.twitter.com/2UfvsJhtIM
Le même jour, les présidentes de trois des plus prestigieuses universités américaines, Harvard, Pennsylvanie et MIT, étaient auditionnées par une commission du Congrès à Washington. Alors que leurs règlements protègent les étudiants contre les «micro-agressions», un acquis des mouvements identitaires wokes, elles ont été incapables de dire qu’«appeler au génocide du peuple juif» allait à l’encontre des codes de conduite de leurs établissements respectifs, affirmant que cela dépendait du «contexte». Face au tollé déclenché par leurs réponses, elles ont rétropédalé.
Qu’est-ce que cela nous dit? Cela nous dit que le juif, minoritaire parmi les minoritaires, ne mérite pas d’être protégé au motif qu’il appartiendrait à la caste des dominants. Cela nous dit que la Shoah est devenue encombrante aux yeux de certains, manifestement nombreux. Cela nous dit, surtout, qu’une partie du monde, en Occident même, n’accorde plus aucune importance au fait que des juifs sont tués en tant que juifs, ou n’y voit qu’une fatalité épousant l'ordre des choses. Gilles Kepel, à qui l’on doit l’expression «djihadisme d’atmosphère», le disait cette semaine dans une interview à watson après l’attentat commis samedi dernier à Paris par un islamiste radical:
Au djihadisme d’atmosphère s’ajoute un antisémitisme d’atmosphère, propagé, entre autres, pas le mouvement islamiste Hamas, mauvais héros d'une cause juste: l’avènement d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël.
Israël, Gaza, Harvard: la diagonale de la folie.