Cyril Hanouna a kidnappé sa propre antenne deux fois en trois semaines. Et c'est de moins en moins discret. Le 24 octobre, l'animateur de Touche pas à mon poste (TPMP) s'offrait dix longues minutes pour piétiner la justice française, défier son ministre, Eric Dupond-Moretti, et s'ériger en porte-parole de Lola, cette jeune fille froidement assassinée à Paris.
Lundi soir, le même Cyril Hanouna a dédié l'entier de sa propre émission à son propre débrief de son propre clash avec le député La France insoumise (LFI) Louis Boyard. «On a tout décrypté», a menacé le gourou en décapsulant la messe en hommage à lui-même, entouré de fidèles forcés de l'absoudre et de mettre officiellement à mort ce député ayant osé importuner le meute de TPMP la semaine dernière.
Tout va décidément très vite. Trop vite. En deux affaires, qu'il a lui-même montées en épingle, Cyril Hanouna est passé du statut de bouffon populaire à celui de puissant animateur populiste, pour s'afficher enfin en dangereux prédicateur autoritaire. Lundi soir, Louis Boyard a donc été «mis à mort» pour avoir déballé les casseroles de «celui dont on ne prononce pas le nom»: Vincent Bolloré, patron de C8 et de Cyril Hanouna. (Entre autres.)
Une exécution arbitraire, exigée par Hanouna et validée, à grands coups de langue sur l'arrière-train du gourou, par un jury de people qui empestent le formol et la violence revancharde. Des témoins ont également été invités à s'exprimer à la barre. «Editorialistes, spécialistes en communication, députés», pour analyser «l'affaire du week-end», annonçait le compte officiel de l'émission, sur Twitter.
En réalité, une dizaine de dévots de TPMP, convoqués séance tenante pour torturer le condamné, absent. «Boyard est dangereux», dit l'une. «Il est condamnable», dit l'autre. «Il nous a trahis, car c'est grâce à vous, Cyril, qu'il a été élu», ose même l'ancien présentateur de Vidéo gag. Hanouna ferait donc élire, puis condamner des députés.
Pour être en mesure de laver Hanouna de tout soupçon, il ne fallait pas s'encombrer de voix discordantes, de gâches-métier, de fauteurs de troubles. «Enfin seuls au sommet de l'attention générale», comme l'écrit si bien Arrêt sur image mardi matin. Dans cette rapide escalade de l'autoritarisme à paillettes, l'entre-soi représente sans doute le dernier échelon. Lundi soir, défendre Vincent Bolloré (mais sans prononcer son nom) ne pouvait s'imaginer qu'en refermant l'émission sur elle-même.
C'est souvent la peur qui fait se recroqueviller. Et il est rare de voir Cyril Hanouna calfeutrer son pouvoir en direct et dans sa propre émission. Après le clash avec Boyard la semaine dernière, il s'était discrètement contenté de partager les messages de soutien qu'il recevait sur Twitter. Puis de regretter les insultes, avec des larmes de crocodile inondant le clavier.
Mes chéris je suis entier, loyal, sincère, et je serais tjs moi-même à l antenne. Je suis sanguin et vrai comme certains politiques. La seule chose que je regrette c de l avoir insulté c pas un bon exemple. Pour le reste je ne regrette rien et je défendrais tjs mes amis. Je vs ❤️
— Cyril Hanouna (@Cyrilhanouna) November 13, 2022
Aurait-il été remis à l'ordre par la main qui le nourrit et le protège depuis des années? Son patron est-il en train de douter, pour la première fois, de l'influence réelle du premier lieutenant? Et si la poule aux œufs d'or devenait soudain un cafard gênant dans l'empire Bolloré?
Quelque chose a manifestement changé. Et l'atmosphère qui rôde autour de Cyril Hanouna n'est pas sans rappeler celle qui a fissuré le piédestal populiste de Donald Trump durant la nuit des midterms. Alors que les deux hommes ont fait leur beurre à coups de victimisation, d'accusations et de plaintes, il pourrait bientôt suffire d'un gros rien pour que les fanzouzes se mettent à se désolidariser du gourou. Comme autant de républicains déçus et fâchés par celui qui a trop pris, trop promis, trop menti, trop détruit.