Exit les nouilles dans le slip.
Lundi soir, Baba a bâillonné le bouffon pour se couronner roi. C'est un fait: le justicier Cyril Hanouna s'est approprié l'affaire Lola, mais aussi dix minutes de sa propre messe télévisuelle. Pour parler, la plupart du temps, de lui-même. En réitérant, comme une lame qui s'enfoncerait lentement dans la démocratie, son désir de justice expéditive, de «procès très, très, très rapide» et de «perpétuité immédiate» pour le coupable du meurtre atroce qui termine de lacérer un pays déjà passablement en lambeaux.
Lundi soir, le patron de «Touche pas à mon poste» a surtout affiché une étrange suie grise qui dégouline désormais sous le maquillage doré de l'amuseur public.
«Pour tout le monde.» La foule regarde Hanouna, Hanouna harangue la foule. Et tout se déroule dans ce miroir exigu que lui-même s'est attelé, prime-time après prime-time, à déformer à sa guise. «Je ne veux plus d'affaire Lola. Et tous les citoyens pensent la même chose.» Lundi soir, le gourou autoproclamé de toutes les rages populaires, le même qui a publié l'année dernière «Ce que m'ont dit les Français», a voulu parler au peuple. Mais il a parlé à sa place.
Entendez: ce peuple qui n'écoute pas France Inter et s'en fiche un peu du quinoa. Celui dont se serait précisément «déconnecté» le ministre de la Justice. Parce que, Eric Dupond-Moretti, il y a quelques jours sur le plateau de «C à vous», a eu le toupet de rappeler l'importance de l'Etat de droit, «celui qui protège aussi Monsieur Hanouna».
"Monsieur Hanouna demande un procès expéditif pour la suspecte présumée du meurtre de Lola. C’est ça la conception de l’État de droit que l’on a dans ce pays ? L’État de droit nous protège et le ballonnier pour faire de l’audimat, je ne peux pas accepter !"@E_DupondM #CàVous ⬇️ pic.twitter.com/EhdE9JlYQt
— C à vous (@cavousf5) October 21, 2022
Mais la cour de Baba perdrait patience. Et sa vindicte n'en aurait cure des procédures.
Lundi soir, là où d'ordinaire influenceurs et chroniqueurs festoient entre deux éclaboussures populistes, pas un seul mouvement de caméra, pas l'ombre d'un tapis musical, aucun défi potache. Mise en scène au régime sec pour un discours au régime autoritaire. Sous couvert d'un plaidoyer pour «cette pauvre jeune femme», qu'il croit indispensable et attendu.
Bien sûr, Baba a pris soin d'aiguiller son récit, comme un train fou à grande vitesse. C'est le «père de famille» qui s'exprime. Le «papa d'une fille de 11 ans». Confrontant son statut de «simple citoyen» en manque de justice (qu'il n'est plus depuis longtemps), à celui d'un garde des sceaux qui manquerait à son devoir.
Dix minutes. Dix longues minutes de monologue à sa propre gloire, parsemé de «moi, je veux», «moi, je ne veux plus», dans lequel Hanouna dépoussière l'échafaud pour imaginer une justice 2.0, narcissique, borgne, connectée, aléatoire. Sans oublier, peut-être pour ne pas risquer d'effrayer les moins convaincus, de se mettre «à la place des parents de Lola, bien entendu». Cette collégienne sauvagement assassinée et retrouvée dans une malle non loin de chez elle, le 14 octobre dernier, à Paris.
Si le profil de la meurtrière présumée a réveillé la machine politico-médiatique de l'extrême droite, Cyril Hanouna n'a pas eu besoin de brandir les origines algériennes de «ce monstre» (sous le coup d'une expulsion au moment des faits) pour nourrir sa propagande. Et devant deux millions de fanzouzes déjà à sa botte. Précisément l'audience, démesurément fidèle, sur laquelle un Zemmour ne pourra jamais compter.
«Le pays ne tourne pas rond. Et, nous, on veut faire avancer les choses.» Le diagnostic n'est pas totalement à côté de la plaque. Mais la potion que propose le druide de l'audimat, qui aime camper la victime, comme un Trump ou un Poutine avant lui, risque de faire des dégâts qui n'ont plus rien de magiques.
Sans même prendre le soin de déguiser le populisme (qui l'a rendu puissant) en fête foraine télévisuelle (qui l'a rendu riche), lundi soir, Cyril Hanouna est peut-être devenu simplement dangereux.