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Comment Poutine s'est emparé du pouvoir en Russie

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Comment Poutine s'est emparé du pouvoir

En trente ans, le maître du Kremlin et son clan ont pris le contrôle économique et politique de la Russie. Le passionnant livre de la journaliste Catherine Belton, Les Hommes de Poutine, retrace cette ascension.
13.11.2022, 07:59
Alain Bergounioux / slate
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On ne saurait trop recommander la lecture du livre passionnant de Catherine Belton, Les Hommes de Poutine. Fruit d'une enquête fouillée par une journaliste britannique qui a longtemps été correspondante du Financial Times à Moscou, il nous livre bien plus qu'une étude sur l'entourage de Vladimir Poutine: c'est une plongée dans trente années d'histoire de la Russie, et même au-delà puisqu'il revient sur des actions KGB à la fin des années 1980, avant l'effondrement de l'URSS.

L'auteure nous fait comprendre comment le pouvoir a été conquis par une partie de l'ancien KGB, devenu Service fédéral de sécurité de la fédération de Russie (FSB), dont Vladimir Poutine a été le représentant. Surtout, elle montre comment une dictature d'un nouveau type s'est établie, en utilisant les ressources du capitalisme, à des fins personnelles le plus souvent, mais également avec l'ambition de reconstituer la puissance russe ébranlée par la chute de l'URSS.

L'arrivée de Poutine à Moscou

Ce travail s'appuie sur des entretiens approfondis avec des acteurs et des témoins qui ont été proches du pouvoir, particulièrement des oligarques en exil ou aujourd'hui décédés. Catherine Belton donne ainsi des analyses détaillées de la prise de contrôle de l'économie de tout un pays. Le lecteur devra certes entrer dans la complexité des montages financiers, mais ils sont nécessaires à la compréhension de la nature du système mis en place.

Soulignons quelques points essentiels. L'importance, d'abord, du rôle de Vladimir Poutine à Saint-Pétersbourg au début des années 1990: un maire «libéral» de façade, qui tissa un réseau d'influence au croisement de la politique, des services de sécurité, de l'affairisme et du crime organisé.

Repéré pour son savoir-faire et appelé à Moscou, soutenu par quelques grands oligarques de la période eltsinienne qui ont dépecé l'économie russe dans ce qui fait sa force - le pétrole et le gaz -, et dans son système bancaire, Poutine devient Premier ministre. Il est ensuite rapidement choisi par un Eltsine malade et sa famille politique pour assurer une succession garantissant l'impunité à l'ancien président et à ses proches, et qui paraissait n'être à leurs yeux qu'un moment de transition.

Un capitalisme sauvage, contrôlé par les hommes du président

Il en a été différemment - on le sait, et c'est la deuxième partie du livre. Car, en quelques années, les oligarques qui avaient pris trop d'indépendance et qui voulaient directement jouer un rôle politique, notamment par la propriété de médias, ont été écartés, pour le mieux, ou déchus, leurs entreprises étant reprises par des rachats imposés.

Le procès et l'emprisonnement de Mikhail Khodorkovski, un temps homme le plus riche de la Russie, ont été pour ce faire exemplaires. Les oligarques restés en place ont accepté leur assujettissement au pouvoir poutinien. S'est ainsi construit un capitalisme sauvage (on ne parle pas de syndicats!), non pas contrôlé par l'Etat mais par Poutine et ses hommes, en Russie même et dans le monde.

Les élites occidentales n'ont pas pris au sérieux l'évolution idéologique du régime, pourtant marquée dès 2007.

L'acceptation apparente des règles du capitalisme a trompé les élites occidentales qui, en même temps, ont bien voulu l'être, compte tenu de la masse des capitaux venant de Russie. Elles n'ont pas voulu voir la concentration du pouvoir qui s'est opérée - le rétablissement de la «verticale» du pouvoir selon les mots du dirigeant russe -, avec la répression de plus en plus affirmée des oppositions et l'élimination physique de certaines de leurs figures.

Elles n'ont pas pris au sérieux l'évolution idéologique du régime, pourtant marquée dès 2007, avant même l'intermède pseudo-libéral de Dmitri Medvedev à la présidence. Un nationalisme revendiqué, un conservatisme sociétal appuyé sur la religion, une critique de principe de l'Occident perçu comme libéral et décadent sont des constantes désormais répétées à tout moment, défendues et promues par des idéologues qui constituent un autre cercle du pouvoir.

Un point important, évidemment, tient dans l'action du régime dans le monde. La tradition du KGB avait déjà fait pleinement sienne la réalité de la guerre hybride. On la retrouve maintenant à l'oeuvre, facilitée par les ressources du pétrole et du gaz - contrôlées par les hommes du pouvoir -, pour mener des politiques d'influence dans les médias et sur les réseaux sociaux, de financement des partis et des mouvements - le plus souvent des droites populistes, notamment hostiles à l'unité de l'Europe -, et, tout simplement, de corruption de personnalités politiques au travers de postes, grassement rétribués, dans les conseils d'adminis­tration des grandes entreprises russes.

La City de Londres (Londongrad, disait-on) a ainsi été, pendant des années, la plaque tournante de cette volonté d'emprise. Les lecteurs trouveront de nombreux exemples significatifs.

Notre problème, et le drame du peuple russe

La dernière partie de l'ouvrage permet de retrouver une actualité malheureusement connue. L'invasion de l'Ukraine a été préparée de longue date. Plus que la présence de l'OTAN dans l'ancienne Europe de l'Est - car le territoire de la Russie n'était pas menacé-, c'est l'existence d'un régime démocratique à Kiev, malgré ses failles, regardant vers les libertés de l'Ouest, qui était insupportable.

La révolution de Maïdan - un coup d'Etat antirusse, selon Poutine- a entraîné, depuis 2014, le processus qui devait mettre fin à l'Ukraine comme Etat indépendant. Les voiles se sont déchirés aux yeux du plus grand nombre. L'économie de marché, dans la Russie actuelle, est largement un simulacre. L'Etat de droit, avec une justice aux ordres, est un leurre. La politique étrangère du régime poutinien soutient, partout dans le monde, les dictatures et les mouvements les plus réactionnaires. Les pages de l'ouvrage sur les rapports avec Donald Trump, avant et après sa présidence, sont ici illustratives.

En refermant ce livre, on mesure l'étendue de ce qui est maintenant notre problème et de ce qui est le drame du peuple russe, soumis à une dictature relookée, certes, mais qui repose sur la violence et la corruption.

Les bases du régime poutinien, cependant, ne sont peut-être pas solides. La distance que manifeste toute une part de la population est patente. Le capitalisme affairiste russe n'a pas permis la constitution d'une économie diversifiée. L'absence des libertés n'est pas un facteur favorable pour une économie d'innovation aujourd'hui décisive. En somme, Vladimir Poutine n'a peut-être pas suffisamment médité sur les causes du déclin de l'Empire soviétique...

Une première version de cet article est parue dans L'Ours, mensuel socialiste de critique politique et culturelle, n°522, novembre 2022.

Cet article a été publié initialement sur Slate. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original

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