Jeudi 8 septembre 2022, votre «maman chérie» est décédée, Elizabeth II n’est plus et une icône nous a tous abandonnés. C'est beaucoup à digérer en une seule gorgée.
Pour nous. Pour vous.
Votre principal défaut, très cher roi, c'est que vous ne serez jamais la reine. Celle dont le nom de famille a toujours été accessoire pour savoir de qui on parlait. Comme Johnny ou Michael. Non seulement la disparition de la reine pop nous condamne au chagrin, mais le blase de «roi de la pop» vous sera indéfiniment inaccessible. Sorry, Charles Philip Arthur George.
Aurons-nous même le temps de se faire à votre nouveau titre? De prononcer «Charles III» aussi machinalement que «prince Charles»?
Si, à 73 ans, le tout frais Charles III que vous êtes avez (enfin) du boulot, Œdipe n'est pas près de prendre sa retraite. Il faudra faire avec.
«On ne devient pas roi en fonction de sa popularité, mais de sa naissance», rappelait Stéphane Bern (dès qu’il pouvait). Serait-il votre plus sincère allié, par tendresse polie ou simple admiration monarchique? Soyons francs: la popularité n'a jamais été votre fort. Encore, s'il n'y avait sur les langues de vipère que votre maladresse, votre timidité et vos oreilles décollées.
On se souvient de votre père qui s'est trop tôt fichu de vous. Votre mère qui vous envoyait vous faire éduquer chez la sienne, parce que Lilibet avait du temps pour ses chapeaux et ses chiens, un peu moins pour vous. De vos camarades de classe et d’internat qui se sont chargés de prendre le relais des railleries répétées. De l'opinion publique dansant sur ce même refrain. Et internet, enfin, qui ne va jamais plus vite que la musique.
Vous le savez mieux que tous les autres fruits de votre arbre généalogique: péter dans la soie n'a jamais immunisé quiconque contre les emmerdes et la raideur familiale.
Ce n'est pas une mince affaire d'avoir à remplacer une image. Les premières lignes de votre cahier des charges seront donc logiquement casse-gueule. Le «prince oublié» doit se rappeler à notre bon souvenir et le «roi de l'ombre» s'apprête à apprivoiser une lumière qu'il a toujours espérée. Pas celle que vous vous êtes efforcé de bricoler à grandes rasades de scandales, mais celle que le monde vous braque aujourd'hui au visage en ricanant.
Je vois pas comment Charles peut-être roi? Genre qui veut sa tête sur son mug?
— CleoPond (@CleoPond) September 8, 2022
Rassurez-vous, Votre Majesté, nous n'allons pas lustrer plus que de raison vos innombrables casseroles. Votre existence a trop longtemps mijoté à feu doux, sans que personne n'affiche suffisamment de gourmandise pour y tremper une phalange.
Nous ne reviendrons pas sur votre premier mariage raté, vos excursions extra-conjugales ou le deuil amer qui enlace la mort de Diana, cette femme que vous n'avez jamais aimée. Nous connaissons les batailles familiales qui criblent la dynastie Windsor depuis toujours. Même le récent «Megxit» n'est plus au sommet de vos préoccupations.
Désormais, vous devrez régner. Différemment et moins longtemps que maman. Passer de l'interminable théorie à la courte pratique. D'autant que vous êtes «probablement le monarque britannique le mieux préparé à sa charge royale», estime l’historienne Jane Ridley. Vous avez déjà décidé de réduire la voilure, de virer une grosse louche de domestiques, de jeter certaines branches familiales hors du Palais. Pour vous, la monarchie, ce sera Camilla, William, Kate et les trois mioches. Les autres? Trouvez-vous un boulot! Une «sobriété» en harmonie avec l’époque.
Sir, nous allons, ici et dès maintenant, nous accrocher à vos qualités. Il faudra bien sûr se forcer un peu, au début: vous partez de loin et vous n'aurez probablement jamais le temps d'atteindre (et de jouir de) l'aura irrationnelle de votre génitrice. Oui, nous allons apprendre à vous aimer. Par respect pour cette «peine d'Angleterre», dixit le talent de Libération, qui sera longue à consoler.
C’est votre chance. En d'autres termes, jamais un «vieux mâle blanc» encombré par ses privilèges n'a aussi bien incarné la modernité. Certes, monarchique, mais modernité quand même.
Vous vous êtes toujours considéré comme un activiste «sacrément emmerdant». Et vous aurez fort à faire avec Liz Truss, une nouvelle première ministre aussi progressiste qu'une réclame des années 40. Il y a 30 ans déjà, on se foutait de votre passion pour la botanique et le jardinage. Or, Greta Thunberg n'était pas née que vous passiez vos matinées dans votre ferme biologique: 300 hectares sans pesticides et des vaches en plein air. How dare you être so en avance sur votre temps, sir?
Dans les années 1980, après avoir abandonné la Royal navy, le lobbying environnemental était votre carburant. Au point de torcher des lettres manuscrites aux premiers ministres pour leur souffler discrètement vos grognes du moment. A contre-courant, mais toujours au courant de tout. Et bien avant que le monde se fasse éclabousser par la vague verte.
Vos ennemis de l'époque n'avaient d'ailleurs rien trouvé de mieux que de vous flanquer un sobriquet: «Le prince des patates». On sait sincères votre amour pour la nature et votre engagement quotidien pour le climat. Votre bas de laine et votre agenda ont sans cesse été au service de la planète.
Qu'importe si ça pouffe dans votre dos parce qu'une grenouille porte votre nom (Hyloscirtus princecharlesi), que vous parlez à vos légumes, que votre Aston Martin ronronne au bioéthanol et qu'il est compliqué de crâner au volant d'une Jaguar électrique.
On s'est moqué de vous pour moins que ça. Ce valet supposément payé pour déposer du dentifrice sur votre brosse à dents en sait quelque chose.
Fun fact: Sans même vous en rendre compte, vous épousez les vœux furieusement actuels de notre... Conseil fédéral: Chez vous, l'eau qui s'écoule du pommeau de douche chaque matin est invariablement glacée et vous conservez la flotte de votre bain pour mouiller votre jardin.
Et puis, il fallait bien que vous nourrissiez vos longues journées de vient-ensuite. Le polo en permanence, le ski en Suisse et la magie en amateur, ça va un moment. En marge de la mission à la fois la plus officielle et la plus pétée de l'histoire («Soutenir la reine pour assurer le rayonnement de la monarchie»), vous avez multiplié les trucs et les machins, bien calé entre le quotidien d'une miss Bretagne et la retraite de grand-papa.
Avec une passion si sérieuse pour certaines futilités que ça vous faisait passer pour un grand dadais riche et un peu loufoque. Jeune, vous bûchiez simplement comme un éternel étudiant, curieux de tout, mais effrayé par la vie d'adulte royal.
Président ou soutien actif de 420 organisations caritatives, comme la Prince's trust que vous avez fondée en 1976, vos actions (et votre pognon) ont par exemple permis de soulager la vie d'un bon million de gamins. Bon, c'est vrai, vous n'êtes pas non plus l'abbé Pierre: le duché de Cornouailles, créé en 1337 pour assurer la subsistance de l’héritier du trône (vous hier, William aujourd'hui), vous rapporte encore aujourd'hui plus de 20 millions de livres par an. Des terres agricoles bio, of course, mais aussi des commerces, des propriétés et un portefeuille dodu d'actions et d'obligations.
La burqa? Une insulte aux Droits de l’homme. Les constructions hautes et modernes qui investissent les grandes villes? Des éruptions de furoncles. Boire un thé avec des officiels chinois? Plutôt crever. Sans oublier que vous vous seriez bien passé de la guerre en Irak, même si vos mots vous ont souvent fait frôler l'ingérence politique.
Il faut avouer qu'on a tous un peu ignoré vos bons points. Vous aimez les Britanniques, vous chérissez la Couronne et vous voilà enfin en mesure de prouver que l'attente, la vôtre, ne fut pas vaine.
Pour cela, il faudra dépasser le fantasme maternel de ne vivre que sur des mugs, ravaler votre manie de l'ouvrir sur tous les sujets sensibles et faire grimper votre cote de popularité dans un monde en multi-crises qui ne cesse d’afficher son animosité envers l’abondance monarchique. Des rues de Soho aux confins du Commonwealth.
Certes, vous n'aurez jamais la folie d'un Boris Johnson ou l'élégance d'un Trudeau, mais ce petit air d'agent secret malhabile vous offrira toujours le bénéfice du doute.
Ah, encore une chose, maintenant que vous êtes roi: Laissez enfin l'actrice Emma Thompson, votre meilleure copine qui considère que danser avec vous «c'est meilleur que le sexe», vous convaincre qu'il est temps de changer de coupe. Un passage chez le coiffeur, c'est souvent le début du reste de sa vie. (Et ne dégagez pas trop derrière les oreilles.)
Un simple vieux roi à l’obsolescence programmée? Tu parles Charles. Il y a tout à faire.