Lors de l'annonce de la contre-offensive ukrainienne, Volodymyr Zelensky s'est fixé de grands objectifs: 2023 sera «l'année de la victoire», avait lancé le président ukrainien. Tous les territoires occupés par la Russie, y compris la Crimée, devaient être reconquis militairement. Pour rappel, la Russie a annexé la péninsule ukrainienne, en 2014, en violation du droit international, et l'occupe depuis lors. Poutine dorlote la presqu'île comme un bijou.
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Le discours de Kiev était, dans ce contexte, d'autant plus fort: «Il ne peut y avoir de négociations que lorsque l'ensemble du territoire ukrainien sera libéré, y compris la Crimée», a déclaré Mykhaïlo Podoliak, le conseiller du président Zelensky, à l'automne 2022. Les discussions avec Moscou sur un éventuel statut spécial pour la Crimée, comme celles qui ont eu lieu à Istanbul peu après le début de l'invasion russe, n'ont pas abouti. Kiev insiste sur son exigence maximale de récupérer la Crimée sur le plan militaire.
Mais récemment, le discours de Zelensky a légèrement changé: «Si nous sommes aux frontières administratives de la Crimée, je pense qu'il est possible de forcer politiquement la démilitarisation de la Russie sur le territoire de la péninsule», a-t-il déclaré, dimanche, dans une interview accordée à un média ukrainien. Le chef d'Etat s'est montré plus prudent que ces derniers mois. Au lieu d'une reconquête militaire de la Crimée, il a proposé une solution diplomatique. S'éloigne-t-il de la voie qu'il suivait jusqu'ici?
Non, affirme l'expert militaire Gustav Gressel. Volodymyr Zelensky n'a jamais catégoriquement exclu des négociations avec la Russie, selon lui. Il l'a probablement souligné à nouveau «pour le rappeler aux gens en Occident». Des négociations doivent porter sur la Crimée, cet évident, constate notre spécialiste:
Zelensky s'en est donc toujours tenu à sa revendication maximale, à savoir le retrait forcé de toutes les troupes russes. Les deux belligérants se montrent irréconciliables. Le Kremlin, dont les troupes ont envahi l'Ukraine le 24 février 2022, demande à l'Ukraine de déposer les armes, de renoncer à ses ambitions d'adhésion à l'Otan, d'accepter le russe comme langue nationale et de reconnaître la Crimée comme russe. Volodymyr Zelensky a jusqu'à présent refusé toute discussion sous ces conditions.
Au vu de la situation, les forces armées ukrainiennes tentent de reconquérir les territoires occupés dans le sud et l'est du pays, et de progresser jusqu'à la mer d'Azov. Mais l'offensive se déroule plus lentement que prévu; l'Ukraine parviendra-t-elle seulement à s'approcher de la Crimée?
Pour l'armée ukrainienne, il est difficile de récupérer la péninsule de la mer Noire dans une attaque frontale, analyse Gustav Gressel. La péninsule sert de base militaire à la Russie, et il n'y a en outre que peu de voies d'accès. «Bien sûr, l'Ukraine sait que les Russes ne vont pas céder la Crimée si facilement», ajoute-t-il. Kiev aurait donc l'intention de bloquer la péninsule en attaquant les ports, le pont de Crimée et le trafic maritime.
A l'aide de lanceurs de missiles, comme les systèmes américains Himars, l'Ukraine pourrait menacer toute la surface de la Crimée et donc les forces armées de Poutine qui y sont stationnées. Zelensky espère que Poutine et ses généraux reviendraient alors à la table des négociations par crainte de perdre la Crimée.
Difficile de prédire ce qu'il adviendrait finalement de ce «gage» dans les éventuelles négociations. Gustav Gressel pense que l'Ukraine pourrait, dans un premier temps, concevoir une Crimée indépendante, démilitarisée sous la surveillance de l'ONU. «Mais Kiev a beaucoup d'ambition», dit l'expert.
Ainsi, le secrétaire du Conseil national de sécurité de l'Ukraine, Oleksiy Danilov, a décrit en avril dans un «plan en 12 points» ce que Kiev envisage de faire de la péninsule après une éventuelle libération de la Crimée.
Selon ce plan:
Ce scénario controversé a suscité de nombreuses critiques. Toutefois, on ignore encore quand – et si – il pourrait se concrétiser. La Crimée est toujours sous occupation russe, tout comme d'autres territoires ukrainiens conquis par l'armée russe au cours de la guerre. Pour Gustav Gressel, une chose est claire:
Il s'agira également d'épargner des vies humaines ukrainiennes. C'est peut-être aussi pour cette raison que Zelensky s'est désormais prononcé en faveur d'une solution politique.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder