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Turquie: Erdogan mise sur la terreur pour gagner les élections

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Erdogan mise sur la terreur

Les élections en Turquie s'annoncent serrées pour le président turc, qui mise désormais sur les groupes radicaux. Dans le pays, la crainte grandit.
23.04.2023, 16:2405.05.2023, 13:02
Patrick Diekman
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t-online

Il est partout en ce moment. Il sillonne la Turquie en bus et prévoit de tenir des rassemblements dans au moins 40 villes avant les élections. Il salue la foule, serre des mains et enchaîne les discours jusqu'à ce que sa voix s'épuise. Des images devenues familières en pleine campagne électorale. Mais ce qui'Erdogan vise avant tout, c'est son concurrent, Kemal Kilicdaroglu Parti républicain du peuple (CHP). Ce dernier est en tête dans la plupart des sondages.

La télévision turque semble passer Erdogan en boucle, l'équipe de campagne du chef de l'AKP poste régulièrement des vidéos montrant des centaines de personnes accueillant le président turc dans leurs villes. Ils saluent, offrent des drapeaux de la Turquie ou du parti national-conservateur AKP.

Mais les apparences peuvent être trompeuses. Et l'élection présidentielle du 14 mai 2023 pourrait bien tourner au cauchemar pour Erdogan. En effet, la crise économique et les erreurs commises par le gouvernement turc après le tremblement de terre catastrophique de février 2023 ont fait tourner le vent.

Pour Erdogan, l'étau se resserre. Pour pouvoir renverser la tendance, il mise sur les forces d'extrême droite proches des groupes terroristes et mafieux. Ce qui pourrait avoir des conséquences dramatiques pour la Turquie.

Erdogan doit trouver un coupable

La campagne électorale turque est entrée dans sa phase la plus tendue, sous le signe de la crise économique actuelle.

«A qui allez-vous confier l'avenir de vos enfants et l'avenir du pays»
Erdogan

«A Monsieur Kilicdaroglu? A la personne qui a voyagé avec les tueurs à gages des impérialistes?», a demandé Erdogan lors d'un meeting mardi. Le président turc accuse le chef de file du CHP de conspirer avec des fonctionnaires du Fonds monétaire international (FMI) et des «usuriers de Londres» - au détriment de la Turquie.

Le message d'Erdogan est clair: ce n'est pas le gouvernement turc qui est responsable de la crise économique, mais l'impérialisme occidental. A moins d'un mois des élections présidentielles et législatives, la monnaie turque a chuté à son niveau le plus bas jamais connu depuis son introduction en janvier 2005.

Mardi, le taux de change était de 19,5996 lires pour un dollar, une inflation élevée qui impacte directement de nombreux Turcs, mais aussi une conséquence directe des erreurs politiques et économiques du gouvernement. En effet, Erdogan a exercé une pression constante sur la Banque centrale turque pour réduire les taux d'intérêt, ce qui a alimenté l'inflation.

Si le président turc veut remporter cette élection, il doit trouver d'autres coupables à blâmer. Sa stratégie? Détourner l'attention de sa responsabilité et de celle de son gouvernement en blâmant l'Occident et l'opposition.

Au fil des années, Erdogan a placé de nombreux médias turcs sous son contrôle. Ses discours sont donc diffusés sans être remis en question ou analysés de manière critique et objective. Un avantage indéniable pour le chef de l'AKP dans la campagne électorale.

Un pacte dangereux avec l'extrême droite

Cette manœuvre pourrait ne pas suffire. «Nous ne permettrons pas à ceux qui sont associés à des organisations terroristes de nous donner des leçons», a déclaré le président turc à la fin de son discours en ciblant le parti pro kurde HDP, Parti démocratique des peuples. Paradoxalement, lui-même cherche le soutien des forces d'extrême droite, dont certaines sont proches de groupes terroristes. Pour lui, la terreur est de gauche, kurde ou organisée par des syndicats.

En revanche, son AKP gouverne actuellement aux côtés du parti néofasciste «Parti du mouvement nationaliste». Le MHP s'en prend à l'immigration et à l'Occident. C'est le parti qui a poussé Erdogan vers la droite au cours de cette législature.

Mais il y a un problème encore plus profond. Grâce à son influence, le chef du MHP, Devlet Bahçeli, a pu faire chanter l'AKP. Ainsi, des postes clés au sein de l'organe de sécurité de l'État turc et du système judiciaire ont été occupés par des membres du groupe.

La branche paramilitaire du parti, les «Loups gris», est responsable de nombreux assassinats politiques depuis 1974 et a des liens avec l'influente mafia turque. En plus de 20 ans de pouvoir, Erdogan a laissé ces structures de l'ombre tranquilles tant que la mafia était loyale envers l'AKP.

Ces forces d'extrême droite occupant des positions d'influence accepteraient-elles donc une défaite d'Erdogan et un changement de pouvoir pacifique? Une question qui reste sans réponse.

«Nous sommes prêts pour le djihad»

Le MHP a obtenu 11,1% des voix lors des dernières élections législatives de 2018, et son influence s'est encore accrue grâce à Erdogan. Par ailleurs, le président turc, qui voit son pouvoir menacé lors de ces élections, s'est aussi assuré le soutien des partis islamistes radicaux, YRP et Hüda Par.

Bien que ces deux partis ne dépassent pas les 2% dans les sondages, pour Erdogan, chaque voix compte. Dans l'ombre de l'AKP, les deux partis marginaux pourraient obtenir davantage de sièges au Parlement turc et devenir plus connus sur le plan politique. Une mauvaise nouvelle, surtout pour les libéraux en Turquie.

Le «Parti de la cause libre» (Hür Dava Partisi ou Hüda Par) est le bras politique du Hizbullah turc. Ce dernier, fondé dans les années 1980, est accusé d'avoir commis de nombreux meurtres politiquement motivés dans les années 1990. Notamment l'assassinat de l'auteure féministe Konca Kuriş en 1999 ou d'Ali Gaffar Okkan, chef de la police de Diyarbakır, en 2001. Le Hüda Par quant à lui a été créé en 2012 et a soutenu Erdogan en 2017. En échange, le gouvernement de l'AKP a libéré certains de ses partisans de prison.

Aujourd'hui, Erdogan semble avoir conclu un autre accord dangereux avec les islamistes. Le parti Hüda Par veut criminaliser l'adultère, il exige des cours séparés pour les deux sexes dans les écoles et les universités et veut abolir une loi qui interdit la violence contre les femmes et les enfants en Turquie. Alors qu'Erdogan souhaite faire interdire le HDP pro kurde en raison de sa prétendue proximité avec l'organisation terroriste PKK, il qualifie les partisans de la Hüda Par d'«amis» et les intègre dans son alliance électorale.

Sa proximité avec ces islamistes ne fait pas l'unanimité parmi ses partisans de l'AKP, car pour beaucoup, les opinions de Hüda Par sont trop radicales. Fin mars, une vidéo d'un reporter de la ville turque de Batman a fait beaucoup parler. «S'ils touchent à Erdogan, nous leur couperons la tête», clamait un homme lors d'un événement de la Hüda Par. Il a ensuite proféré des insultes contre les Arméniens, les Juifs et les Russes du pays.

«Nous sommes le Hezbollah, nous sommes prêts pour le djihad»

Ce genre d'images suscite des craintes en Turquie sur de possibles affrontements et actes de violence si Erdogan venait à perdre les élections. En échange du soutien de ces partis radicaux, le président turc a déjà fait savoir qu'il s'attaquerait à la communauté LGBTQIA en Turquie.

Erdogan pourrait être aidé par un ancien opposant

Sur le papier, les alliances d'Erdogan avec les radicaux n'augmentent que très légèrement ses chances de gagner les élections. Mais comme de nombreux instituts de sondage en Turquie sont biaisés, il est difficile d'obtenir des résultats intermédiaires solides. Toutefois, seuls quelques sondages donnent actuellement l'avantage à l'actuel président. Kilicdaroglu est crédité de 46 à 57% des intentions de vote, tandis qu'Erdogan se situe entre 40 et 53%.

Depuis début mars, seuls quatre sondages comparant directement les deux candidats donnent Erdogan en tête, contre douze pour Kilicdaroglu. Les chances d'un changement de pouvoir pour le CHP restent donc bonnes.

Cependant, Erdogan pourrait finalement profiter de la candidature d'un ancien rival, l'ancien candidat de la CHP, Muharrem İnce, qui se présente avec son parti Memleket.

En 2021, il a quitté la CHP, le parti de Kilicdaroglu, avec amertume après avoir perdu la candidature à la présidence du parti. Tout comme la CHP, Memleket a un programme social-démocrate, et se situe actuellement à 8% dans les sondages.

L'ancien député CHP risque d'empêcher Kilicdaroglu d'obtenir 50% au premier tour. En cas de deuxième tour, il sera crucial de savoir dans quel camp les partisans de Muharrem İnce se rallieront. Va-t-il soutenir Erdogan qu'il déteste ou inciter à voter pour le CHP contre lequel il fait campagne. Une chose est sûre, les élections seront passionnantes.

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