Le coup d'envoi sera donné dans quelques semaines. Les élections législatives et présidentielles turques auront lieu le 14 mai 2023. Les sondages tablent sur une compétition serrée: le président sortant Recep Tayyip Erdogan pourrait notamment être en position de faiblesse.
Souvent moquée pour ses ambitions de grande puissance, la Turquie est devenue un acteur régional et géopolitique important. Dans la guerre en Ukraine, Erdogan se positionne volontiers comme médiateur. Dans ce contexte, Ankara montre les muscles dans l'épreuve de force pour la domination de la mer Noire, une région stratégiquement importante.
En Syrie, Erdogan est en guerre contre les Kurdes. En tant que membre de l'Otan, la Turquie fait des étincelles, notamment en refusant l'adhésion de la Suède. De plus, selon les Nations unies, Ankara est le plus grand pays d'accueil des réfugiés. Au vu de ces points, il sera intéressant de voir si Erdogan parviendra à s'imposer ou si les Turcs éliront un nouveau dirigeant politique.
Qui est-ce qui défie le président sortant? Pourquoi les élections pourraient marquer un tournant? Et qui est ce candidat de premier plan qui alimente les rumeurs? Le tour en cinq points.
Le président Recep Tayyip Erdogan se présente avec son parti conservateur AKP, en alliance avec deux formations nationalistes: le MHP et le BBP. Une grande partie de l'opposition a formé une union dirigée par le parti social-démocrate (CHP). Cette alliance s'est mise d'accord sur un candidat: Kemal Kılıçdaroğlu. Il est considéré comme un intellectuel discret, un bon médiateur doté d'un talent diplomatique.
Outre le CHP, l'alliance formée par l'opposition comprend notamment le parti national-conservateur İYİ et le Gelecek Partisi (Parti du futur) d'Ahmet Davutoğlu, ancien compagnon de route d'Erdogan et ex-Premier ministre.
Finalement, le HDP pro-kurde pourrait jouer un rôle important. Il a déjà annoncé qu'il soutiendrait Kılıçdaroğlu sous certaines conditions et a renoncé à présenter son propre candidat, ce qui renforce l'alliance de l'opposition.
Un visage éminent du monde du football pourrait toutefois créer la surprise. Il s'agit de Mesut Özil, qui a tiré sa révérence il y a trois semaines, à l'âge de 34 ans. L'ex-joueur de l'équipe nationale allemande aurait maintenant des ambitions politiques.
Selon le portail d'information turc Haber7, le champion du monde 2014 figure sur la liste des candidats de l'AKP pour les prochaines élections. Özil serait par exemple listé comme candidat du parti à Istanbul ou à Zonguldak. L'article n'est toutefois plus accessible et a entretemps été supprimé.
L'amitié entre Özil et Erdogan est un secret de polichinelle depuis des années. L'ex-joueur de football a par exemple invité le président turc à son mariage.
En 2018, une photo d'Özil avait suscité de nombreuses critiques. Avec son coéquipier İlkay Gündoğan, l'international de l'époque avait posé avec Erdrgan. Les fans lui ont reproché de ne pas soutenir l'équipe nationale allemande et de représenter les valeurs du dirigeant controversé.
Dans le dernier sondage «PolitPro» sur les élections législatives, le parti d'Erdogan obtient 33,4% des voix. Son allié, le MHP, obtient 6,4%. Les partis d'opposition CHP et İYİ atteignent respectivement 27,5% et 11,3%. Tous deux ont progressé dans les intentions de vote depuis les dernières élections. L'AKP et le MHP perdent en revanche des voix. Le parti pro-kurde HDP obtient 10,9%.
Ces sondages ne sont pas des prévisions électorales, mais reflètent simplement le climat politique actuel. Néanmoins, par rapport aux élections précédentes, l'opposition a cette fois de bonnes chances de vaincre Erdogan.
Selon les experts, la cote de popularité du parti d'Erdogan est en baisse en raison de la forte inflation dans le pays et de la mauvaise gestion de la crise après le tremblement de terre.
Les conséquences du séisme continuent de peser lourdement sur le pays. Le coût de la reconstruction des bâtiments détruits se chiffre en milliards, une somme que la Turquie ne peut guère réunir seule sans aide. En outre, selon le gouvernement turc, plus de trois millions de personnes ont été contraintes de quitter la zone sinistrée.
A cela s'ajoute l'augmentation du coût de la vie. Des économistes indépendants estiment l'inflation réelle à plus de 120%. Dans le même temps, la Turquie accueille autant de réfugiés qu'aucun autre pays au monde.
Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), plus de 3,6 millions de personnes déplacées par la guerre civile syrienne y vivent actuellement, ainsi que près de 320 000 personnes en quête de protection en provenance d'autres pays, principalement d'Afghanistan et d'Irak. Selon l'ONU, le nombre élevé de réfugiés pèse de plus en plus sur les ressources et les infrastructures de la Turquie.
Selon «PolitPro», l'opposition est généralement favorable à une politique d'immigration stricte, alors que l'AKP se montre modéré. Le parti d'Erdogan s'engage toutefois pour un Etat-nation fort et place la croissance économique avant la protection du climat. Le CHP, en particulier, se montre plus libéral, plus ouvert sur le monde et plus respectueux du climat.
Comme le montrent les sondages, ces élections pourraient être dangereuses pour Erdogan. Il parle lui-même d'une «élection du destin». Le scrutin se déroulera pour la première fois dans le nouveau cadre des modifications constitutionnelles de 2018. Elles pourraient marquer un tournant et annoncer, outre un changement de gouvernement, un changement de système.
La Turquie d'Erdogan est un «exemple parfait de régime autoritaire compétitif» dans lequel il y a certes des élections, «mais elles ne sont ni libres ni équitables», explique à l'agence de presse allemande Gönül Tol, directrice du programme Turquie à l'Institut du Moyen-Orient à Washington. Il est donc difficile pour l'opposition de vaincre son adversaire.
Selon Tol, si cela réussissait malgré tout, ce serait non seulement un pas important pour la Turquie, mais cela donnerait «au monde et à la démocratie l'espoir que les régimes autoritaires peuvent être surmontés».
En revanche, si Erdogan remportait un nouveau mandat, les élections en Turquie ne joueraient plus aucun rôle à l'avenir.
Traduit et adapté par Pauline J Langel.