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La panique démocrate et le «désastre à un milliard de dollars»

La chute des démocrates et le "désastre à un milliard de dollars"
images: keystone, montage: watson
Analyse

Les démocrates paniquent face au «désastre à un milliard de dollars»

Après la déculottée infligée par Donald Trump il y a presque une semaine, le parti démocrate doit s'astreindre à une profonde et douloureuse introspection. Ce n'est pas gagné.
11.11.2024, 06:38
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Samedi soir, quatre jours après sa nette victoire, on apprenait, comme une cerise sur un Big Mac, que Donald Trump se mettait encore l'Arizona dans la poche. Ample, la poche: Kamala Harris a perdu tous les Etats clés, là où beaucoup imaginaient que le match serait très disputé. Pire encore, les démocrates ont perdu plumes et soutiens dans chaque catégorie d'électeurs. Sans exception. Des femmes aux Latinos, des hommes noirs aux jeunes blancs, le parti fait face à une déculottée qui s’est propagée jusqu'au Sénat et engloutira sans doute la Chambre des représentants. Une déculottée qu'il serait dangereux de résumer au racisme et au sexisme de la population américaine.

Non seulement tous les républicains ne sont pas des Proud Boys en puissance (on en a suffisamment rencontré sur la route pendant trois mois), mais Donald Trump a été élu à la loyale, sans qu'il soit possible de se trouver des excuses extérieures à la machine démocrate. La puissante et rassurante constellation Obama, dans laquelle se sont lovés les espoirs et la campagne de la vice-présidente, a méchamment manqué sa cible. Si bien que, depuis cette terrible nuit électorale, les différents étages du parti démocrate se fusillent du regard pour savoir à qui attribuer les responsabilités de ce fiasco. Certains diront que c'est la première étape du deuil.

Et le moins que l'on peut dire, c'est que ça ne fait pas dans la dentelle. Ce week-end, Lindy Li, membre du Comité national démocrate, a tapé du poing sur la table, s'estimant trompée par les cadors de la campagne.

«La vérité, c'est qu'il s'agit d'un désastre épique, d'un désastre à un milliard de dollars. La chef de la campagne nous a promis à tous que Harris gagnerait. Beaucoup d'entre nous ont le sentiment d'avoir été trompés»
Lindy Li

La stratège démocrate rejette ainsi la faute sur Kamala Harris, se disant désormais gênée, car elle doit «rendre des comptes et expliquer» aux donateurs, qu'elle a elle-même convaincus de lâcher du fric, «pourquoi la course n'a pas été aussi serrée que prévu». Selon CNN, vers 21h00 (heure locale) au soir de l'élection, les proches conseillers de la vice-présidente auraient promis aux patrons du parti qu'elle s'apprêtait à remporter le match. On imagine alors aisément la douche froide.

Bientôt une semaine après la gifle, personne n'a encore les épaules de l’assumer pleinement. Preuve que la panique couve chez les démocrates, on entend désormais tout et son contraire. Les centristes fustigent l'extrême gauche et d'autres «la droitisation» du discours de Harris. La vérité se cache non seulement dans les résultats du 5 novembre, mais aussi dans une enquête publiée en fin d'année 2023, qui révélait que 45% des électeurs de la classe ouvrière désapprouvent le fait que leurs élus soient influencés par «des intérêts trop particuliers, comme les syndicats du secteur public, les militants écologistes et les universitaires».

A plusieurs niveaux, la gauche semble pourtant partie pour garder la tête dans le sable (ou dans les phares de la bagnole républicaine). Du moins à moyen terme. Si tous se disent consternés, choqués, fâchés, ils ont d’abord perdu leur boussole. Ce n'est pas un hasard si des élus démocrates de tous bords en viennent désormais à rappeler les bases.

«La vraie façon de voir les choses n’est pas de se dire modéré ou progressiste, libéral ou conservateur, mais de se demander: "êtes-vous avec le peuple et contre les élites au pouvoir?"»
Pat Ryan, représentant démocrate à la Chambre, à CNN.

On sent malgré tout une certaine volonté de blâmer très fort la désinformation, une ingérence russe ou la testostérone démagogue de Donald Trump. Ou plus simplement à exhorter les citoyens à se «réveiller». Si les manières tout à fait critiquables du repris de justice l'ont hissé une nouvelle fois au pouvoir, c'est bien la déconnexion, un immense flou artistique et une certaine condescendance des bleus qui a terminé de dessiner le plébiscite MAGA.

Ce week-end, le sénateur Bernie Sanders, sorte de Pierre-Yves Maillard de l'ouvrier américain que le parti a violemment écarté en 2020, en voulait lui aussi terriblement à son parti.

«Les démocrates ont perdu cette élection parce qu’ils ont ignoré la colère justifiée de la classe ouvrière américaine et sont devenus les défenseurs d’une économie et d’un système politique truqués»
Bernie Sanders

Les démocrates paraissent toujours aussi impuissants face à la rhétorique populiste et incapables de trouver les mots pour répondre aux préoccupations de ceux qui étaient pourtant leurs électeurs de cœur. En se contentant de hurler que la solution de Donald Trump n'est pas la bonne, ils ont voulu masquer le fait qu'ils n'en avaient pas pour tout le monde.

Comme l'écrit Dan Balz du Washington Post, «le parti démocrate est plus que jamais concentré dans les grands centres urbains et a perdu le contact avec un trop grand nombre d’électeurs des zones rurales». C'est d'ailleurs une tendance que l'on retrouve dans le reste du monde et notamment en Suisse.

La vague trumpiste prouve aussi que la gauche peine à cerner cette nouvelle Amérique, inquiète et recroquevillée sur elle-même. Cela fait plusieurs années que les faibles revenus se cherchent un leader. Si Barack Obama avait su déployer les armes (et le charisme) pour retenir la classe ouvrière en 2012 (60% des voix des électeurs gagnant moins de 50 000 dollars), l'arrivée de Trump comme un taureau dans l'arène politique a changé les règles du jeu. Alors que le milliardaire républicain devrait remporter le vote populaire, les stratèges démocrates n'ont pas d'autres choix que de se plonger dans une sévère introspection, avec une première réponse à apporter en interne:

Pourquoi tant d'Américains ont-ils été tentés par le vote Trump, malgré sa radicalité affichée et ses excès connus de tous?

Ce n’est pas gagné. Même David Plouffe a coulé, emporté par sa propre rancœur. Avant de supprimer définitivement son compte X, le conseiller principal d'Harris (et l'homme qui a catapulté Obama au pouvoir en 2008) s’est fendu d'un message agressif que les membres du parti ont interprété comme une charge contre le président. Il n’est d’ailleurs pas le seul à vouloir justifier la défaite de Harris par le seul abandon tardif de Joe Biden. Une excuse qui se balade allègrement au sein de l’équipe de campagne, mais que l'électorat démocrate n'a plus envie d'entendre.

Elon Musk n'est pas Beyoncé ou Taylor Swift

En 2017 déjà, l'ancien premier ministre britannique Tony Blair avait voulu «tirer la sonnette d'alarme», comme le rappelle Politico: «La chose sensée pour les hommes politiques en ce moment est de trouver comment rester aux côtés des gens». La tâche n'est pas aisée, surtout dans un monde qui se cherche de nouvelles valeurs, sans forcément décapiter le passé.

Quand le peuple a peur, le pire est sans doute d'avoir peur avec lui. Kamala Harris a propagé sa propre crainte de Donald Trump, en imaginant que cela suffirait à remplir ses urnes d'indécis et d'indépendants. Mauvaise pioche. En face, ça bombait un torse gorgé d'optimisme, certes vulgaire, mais convaincant, beuglant avec assurance que le cri du travailleur serait entendu. Il faut avouer qu'il y a eu beaucoup d'aisance et de cohérence dans le camp Trump. Une certaine coolitude du bad boy, de celui qui promet de protéger le faible, sans forcément respecter les règles. Et ça compte, en politique.

Certains élus démocrates, comme la représentante Marie Gluesenkamp Perez, ont déjà compris qu'il y a urgence à renverser la tendance et à redonner simplement envie:

«Nous devons reprendre les rênes de ce qui est sexy»
Marie Gluesenkamp Perez

Sans oublier que, dans le petit sac à milliardaires, Elon Musk ne pèse pas le même poids que Beyoncé ou Taylor Swift. Si le soutien actif et bruyant du fondateur de Tesla a été bénéfique à Donald Trump, c'est d'abord parce que les électeurs républicains ne l'ont jamais considéré comme faisant partie de l'élite, mais comme un entrepreneur à succès qui enjambe les pièges tendus par l'establishment.

L'exemple vivant du rêve américain. Qu'importe sa propension à éclairer les théories du complot sur son propre réseau social, Elon Musk est l'homme qui est allé vérifier l'état des frontières mexicaines par ses propres moyens et colle parfaitement à la rhétorique du prochain président des Etats-Unis. Tout l'inverse des chanteuses ayant soutenu Kamala Harris du bout des doigts et à la dernière minute. Pour beaucoup de travailleurs américains, une star de la pop est précisément un pur produit de la haute, à la réussite égoïste et à l'abri des assauts du quotidien.

Qu'il le veuille ou non, le parti démocrate devra repartir de zéro. Bon nombre de penseurs démocrates considèrent même que des excuses audibles et sincères à sa base seront indispensables: «Ils doivent s'excuser de ne pas avoir su être à l'écoute. S'excuser de ne pas avoir organisé de primaires qui auraient permis de sélectionner un candidat approuvé par des centaines de milliers d’électeurs», écrit Andrew Yang, ancien candidat à la présidentielle de 2020 et fondateur du Forward Party.

«Le parti démocrate ne peut pas continuer à se définir simplement comme le parti de n’importe qui, sauf du candidat d'en face»
Annie Wu Henry, militante démocrate, dans Politico

Ils devront aussi se résoudre à faire dans le populisme. Propager un message simple et rassembleur. Ne plus adapter les discours à chaque petit segment de son électorat. Les femmes, les homosexuels, les ouvriers, les Latinos et les étudiants, malgré leurs angoisses respectives, veulent vivre dans le même pays, prospère et sûr. Compter simplement sur un prochain candidat au charisme d'Obama pour piquer le pouvoir à la relève trumpiste, ne serait qu'un sparadrap sur une blessure qu'on a laissé s'infecter.

Elon Musk est «Dark Maga», lieutenant au service de Donald Trump
Video: watson
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