Il ne sait pas. Il ne peut pas juger. Ni «spéculer». C'est ainsi qu'on pourrait décrire la réaction de Lula da Silva, l'homme à la tête du Brésil, après la mort en prison d'Alexeï Navalny, à l'âge de 47 ans.
«Il faut attendre les résultats de l'autopsie» et «ne pas tirer de conclusion hâtive», estime le président travailliste brésilien. Il déclare même:
Contrairement à nombre de dirigeants occidentaux qui voient dans la mort de Navalny la main directe ou indirecte de Poutine, Luiz Inacio Lula da Silva, dit «Lula», ne considère pas la mort de l'opposant politique n°1 de Vladimir Poutine, détenu dans des conditions déplorables dans une prison sibérienne dans le cercle arctique depuis des mois, comme «suspecte».
Pour rappel, Alexeï Navalny est officiellement mort d'un malaise durant une promenade. Mais les seules informations proviennent des autorités russes, qui refusent d'ailleurs à des tiers d'accéder au corps pour une autopsie.
Autre sujet sur lequel Lula s'est exprimé, mais qui fait également de fortes émules: la guerre menée par Israël sur la bande de Gaza. Aligné sur les critiques émises par l'Afrique du Sud à la Cour de justice internationale, Lula a accusé Israël de commettre un génocide des Palestiniens dans la bande de Gaza, en des termes très marqués:
Une comparaison considérée comme injurieuse, notamment par le premier ministre israélien Bejamin Netanyahu, qui a laissé exploser sa colère. Mais les associations israélites brésiliennes et plusieurs politiciens du pays ont aussi également vertement critiqué le travailliste.
Concernant la mort d'Alexeï Navalny, Lula a estimé qu'on assistait à une «banalisation» d’accusations de meurtre de l'opposant à Poutine. Le message lui est revenu en pleine figure avec les déclarations d'André Lajst, président de l'association brésilienne pro-israélienne Stand with us, qui l'accuse de «banalisation de la Shoah».
Entre les raccourcis historiques et les erreurs factuelles, Lula enfile pleinement les bottes du populiste de gauche, une figure répandue en Amérique latine, à l'image récente du Vénézulien Nicolas Maduro ou l'ex-président bolivien Evo Morales.
Et de l'axe «anti-impérialiste» hérité de la guerre froide — qui le pousse à faire dangereusement ami-ami avec la Russie — à un axe «anti-sioniste» au Proche-Orient, il n'y a qu'un pas. Si le Brésil, pays d'Amérique latine, se retrouve culturellement dans le sillage de l'Occident, son pôle économique et ses intérêts commerciaux sont ailleurs.
L'alignement de Lula sur l'agenda du «Sud global», aligné face à l'Occident, se cristallise économiquement autour des Brics, ce groupe de pays émergents qui sont le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud — qui charge d'ailleurs Israël sur la question de Gaza à la CIJ depuis plusieurs semaines maintenant.
Les Brics, c'est 40% du PIB mondial et la moitié de la population de notre planète. Avec les «Brics+» l'alliance économique a été étendue à d'autres pays comme l'Iran, l'Egypte et l'Ethiopie. C'est d'ailleurs dans ce pays, où les Russes et les Chinois avancent leurs pions pour étendre leur contrôle en Afrique, que Lula a fait ses déclarations sur Navalny, en marge d'un sommet de l'Union africaine.
Via ce groupement, Lula est un acteur majeur des relations internationales. Le président brésilien dirige un pays suffisamment puissant pour peser dans l'arène géopolitique, mais qui peut tout de même jouer la carte anti-système face aux Etats-Unis et leurs alliés. Il a d'ailleurs un poids d'autant plus fort cette année, puisqu'il est à la tête de la présidence tournante du G20.
Retour sur la question russe. Lula da Silva, élu face à Jaïr Bolsonaro en janvier 2023, a pu jouir d'un certain capital sympathie de la part de l'Occident, notamment sur son aile progressiste. On aurait pu espérer que le syndicaliste, qui a commencé comme ouvrier métallurgiste, se serait montré moins complaisant avec Poutine que son prédécesseur, conservateur et religieux évangélique. C'est raté.
Depuis son élection, Lula joue à l'équilibriste, à coup de petits appels du pied, de pas de côté, de phrases en demi-teintes et d'actes manqués. En avril 2023 en Chine, Lula estimait qu'il fallait commencer à «parler de paix», c'est-à-dire négocier avec Poutine. Il estimait que Zelensky devrait réfléchir à laisser la Crimée à la Russie pour mettre fin au conflit. Voire tous les territoires annexés par Poutine en septembre 2021? Rebelote lors d'un discours aux Nations Unies, en septembre. Fair play, Lula y rencontre cependant Zelensky pour la première fois.
Dans la foulée, sur un modèle encore une fois hérité de la guerre froide, le camarade Lula critiquait ouvertement Joe Biden au sujet des envois d'armes américaines en Ukraine, accusant les Etats-Unis «d'encourager la guerre». Rappelons à ce sujet que le Brésil n'a pas appliqué de sanctions contre la Russie, ni sous Bolsonaro, ni sous Lula.
Dans le même temps, Lula affirmait que Poutine, sous le coup d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), ne serait pas arrêté s'il se déplaçait au Brésil, bien que le pays a ratifié l'accord d'extradition de l'institution. Tollé, puis rétropédalage. Poutine ne viendra pas au Brésil.
En Europe, le dirigeant le plus proche de la position de Lula serait Viktor Orban. Le populiste à la tête de la Hongrie est aligné avec la Russie sur des questions d'intérêts directs — les livraisons et la vente de gaz — et les questions de politique sociétales conservatrice. Il n'empêche, même Orban n'a pas osé ouvertement relativiser la mort d'Alexeï Navalny.