Nous sommes en 2024 et Alexeï Navalny est mort au goulag. Pardon, en «colonie pénitentiaire», perdue en Sibérie, au-delà du cercle arctique, où l'opposant politique de Poutine, emprisonné pour «extrémisme», croupissait dans le froid et la faim. Il est mort lors d'une balade encadrée par un garde, après un malaise.
Dans ces contrées, les températures atteignent -30°C en hiver. Quant à Navalny, amaigri, il se plaignait d'être mal nourri. L'homme continuait toutefois à ironiser sur ses conditions de détention. «J'ai été envoyé pour quinze jours dans une cellule de punition», partageait encore, le 14 février, le compte de Navalny sur la plate-forme X. Des messages en forme de journal qui étaient transmis par un opposant affaibli à son avocat.
Le goulag, parlons-en. Des dissidents politiques y étaient encore envoyés jusque dans les années 1980. Et y mouraient. A la chute de l'URSS, les camps se sont transformés en prisons au milieu de nulle part. C'est dans l'une d'entre elles qu'Alexeï Navalny a rendu l'âme. Le goulag avait-il jamais disparu?
Depuis février 2022, la Russie de Poutine se rapproche inexorablement de la grande dictature qu'était la Russie soviétique. Chaque mois, une nouvelle case est cochée: mainmise mentale sur son peuple via la presse d'Etat, construction d'un récit national qui favorise son régime, réécriture de l'Histoire. On peut désormais jouer au «jeu des sept différences» entre la Russie poutinienne et celle de Staline ou du moins, de Khrouchtchev.
Face à son peuple, Poutine ne craint plus de montrer qu'il laisse mourir ses opposants en Sibérie. Pour l'Occident, la mort de Navalny doit nous alerter sur une autre limite franchie: le maître du Kremlin ne craint pas de créer des martyrs.
La mort de Prigojine, descendu avec son jet, projetait l'image d'une leçon implacable donnée à un rival flamboyant. Personne n'a vraiment plaint le destin du patron de Wagner dans les capitales occidentales. La mort de Navalny montre, elle, la cruauté dont fait preuve Poutine: laisser mourir un opposant politique qui a fait de la contestation démocratique son quotidien dans d'affreuses conditions de détention.
Après la publication de L'Archipel du goulag par Alexandre Soljenitsyne, en 1973, on pensait que l'horreur était derrière. Pour rappel, des années 1930 à 1956 (trois ans après la mort de Staline), ces camps ont vu jusqu'à 18 millions de prisonniers participer au travail forcé. Près de 1,5 million d'entre eux ne sont jamais revenus.
En décembre 2021, l'association Memorial, qui se charge de maintenir la mémoire des crimes de Staline, est dissoute en Russie. Deux ans et quelques mois plus tard, le premier nouveau mort des goulags est là. La logique est quasiment mathématique, aussi froide que les bottes trouées de Navalny dans les travées de sa «colonie pénitentiaire»: quand on détruit la «mémoire», les faits qu'elle servait à couvrir se répètent.
Nous sommes en 2024 et la Russie vient de faire un bond d'au moins quarante ans en arrière. Un dictateur a laissé mourir son ennemi juré dans la froideur de l'hiver sibérien. Au goulag.