Qui l'eût cru. Au beau milieu d'une campagne électorale gorgée de haine sourde, Joe Biden fut contraint de s'avouer «heureux d'apprendre que Donald Trump est en sécurité et qu'il va bien», avant de «prier pour lui et sa famille». Inimaginable. Du moins, avant que cette balle d'AR-15 ne vienne déchirer l'oreille du milliardaire républicain sous le regard du monde entier.
Bien sûr, c'est le président et non le candidat Biden qui a pris la parole. Un chef d'Etat qui a eu raison de rappeler qu'il «n’y a pas de place pour ce genre de violence en Amérique». Mais à quatre petits mois d'une présidentielle explosive, cette violence n’a pas attendu la fusillade pour lacérer le pays et les mots comptent davantage que leurs propriétaires. Durant les vingt-quatre heures qui suivront cette tentative d'assassinat, au soir du 13 juillet 2024, tout le monde priera pour Donald Trump, de Barack Obama au roi Charles III.
Et certaines gorges ont dû se serrer très fort en comprenant que l'ennemi condamné au pénal pourrait désormais se réveiller chaque matin en (véritable) victime.
Le monde à l'envers? Sans doute. Mais c'est aujourd'hui au parti démocrate d'essayer de le remettre à l'endroit, en évitant de le faire imploser. Oui, un petit air d'Inception flotte en ce moment sur les Etats-Unis. Hélas, il leur faudra réfléchir à deux fois avant d'attaquer frontalement Donald Trump, sans que le boomerang leur revienne à la gueule.
Et c'est problématique à plus d'un titre. Pour commencer, la manière avec laquelle Joe Biden évoquait récemment son duel face au milliardaire républicain a des relents malheureux.
Pour le dire autrement: puisqu'un ancien président s'est pris une balle dans le cadre d'un meeting officiel, l'heure n'est plus aux métaphores guerrières. Difficile, en effet, de jouer la carte d'un milliardaire considéré comme le plus grand danger pour la démocratie, alors qu'il a failli trépasser sous les balles.
D'autant que tout le monde, hormis quelques brebis galeuses trumpistes, semble vouloir prôner un cessez-le-feu de façade et faire «baisser la température». Hélas pour Biden, Trump lui-même joué la carte de la mesure, lors de sa première déclaration post-attentat, alors qu'on aurait pu attendre de lui une bourrasque d’accusations contre les démocrates.
Si le drame de samedi a marqué l'histoire à jamais, la réalité politique ne va pas disparaître pour autant. Quelques heures à peine avant les coups de feu, le Washington Post rappelait à quel point les démocrates sont «dans une impasse». Au même moment, certaines huiles du parti affirmaient que Joe Biden devait être débarqué cette semaine, s'il voulait avoir suffisamment de temps pour chauffer son remplaçant, avant la convention du mois d'août.
Car malgré la tentative d'assassinat sur Donald Trump, le cas Biden reste la chicane politique la plus importante de cette campagne électorale.
Sans cette fusillade, les démocrates auraient pu imaginer faire de l'ombre à la convention républicaine (qui démarre ce lundi) en annonçant l'abandon d’un président qui, rappelons-le, refuse toujours de céder. Mais voler la vedette à un attentat parait autrement plus complexe. Sans oublier que des stratèges démocrates craignent que le fait-divers ne pousse Joe Biden à renforcer sa volonté de ne pas lâcher l'affaire.
Le drame de samedi soir a choqué loin à la ronde, faisant taire (publiquement) les partisaneries au moins pour un temps. Tout le monde a réalisé qu'un candidat à la présidentielle américaine s'est retrouvé à un misérable millimètre de la mort. Des coups de fusil qui résonnent comme un fragile déclic: le sang versé sur cette estrade de Pennsylvanie est l'emblème le plus tangible de cette violence qui étouffe le pays.
Et si l'appel au calme des démocrates, comme des républicains, pouvait durer plus de trois jours? Instrumentaliser cette fusillade ne sera une mince affaire pour personne. On en veut pour preuve la réaction agressive d'un colistier potentiel de Trump, l'écrivain JP Vance, une heure après les faits, qui a eu le don d'agacer en haut lieu républicain.
En amont de la convention nationale républicaine qui démarre cette nuit, la députée Nancy Mace, qui n'est pourtant pas la dernière à jeter de l'huile sur le feu, a appelé à l'unification.
Sans oublier de tacler Joe Biden pour sa rhétorique qui «inspire la violence politique». Oui, on en est là. Grâce à (ou à cause de) cette tentative d'assassinat, les républicains condamnent cette violence... à leur façon, en accusant l'ennemi démocrate d'en être l'unique responsable. Un monde à l'envers qui empêche désormais Joe Biden de continuer d'en faire de même avec Donald Trump. Il est là, le défi des démocrates. Et ce, bien que l'enquête n'ait pas encore révélé suffisamment de détails pour dessiner un profil politique clair à l'auteur de la fusillade.
En clair: tout le monde marche sur des œufs et la campagne électorale affiche un nouveau visage, même si personne ne sait encore à quoi il faut réellement s'attendre. Mais il y a de quoi espérer, soyons fous, un retour aux dossiers et à la politique politicienne, aussi dure et revancharde soit-elle, histoire de redonner un peu de lumière aux programmes respectifs et un peu de répit à des électeurs fatigués par ce combat éternel.
Ne tombons pas non plus dans une béate naïveté: le sang qui a coulé samedi n'a fait qu'aggraver la déchirure d'un pays qui se résume à deux camps irréconciliables, prétendant détenir la bonne version d'un récit qui est devenu inaudible.
Malgré tout, et parce que le statut de victime de Donald Trump le projette en indéniable favori le 5 novembre prochain, tout le monde a un nouveau coup à jouer. De nouveaux réflexes à trouver. Dans cette configuration inédite, un retrait élégant de Joe Biden, au profit d'un candidat ou d'une candidate vierge des dernières batailles, pourrait apparaître beaucoup plus solide et réfléchi qu'avant ce triste 13 juillet 2024.
D'autant que l'adversaire admet avoir fortement adouci son discours, qu'il prononcera cette nuit à Milwaukee, pour en faire une ode à l'union. Et un Trump soudain rassembleur devrait inquiéter le camp adverse.
A confirmer dès ce soir pour des républicains encore sous le choc de l'attentat. Et dès mardi matin pour les démocrates, qui viennent d'annoncer le retour aux affaires courantes. Le temps du deuil est déjà révolu et cette semaine sera déterminante.