Qu'on ne s'y trompe pas: les populistes sont mauvais pour l'économie. Qu'il s'agisse du premier ministre Viktor Orbán en Hongrie ou de Donald Trump aux Etats-Unis, leurs décisions n'aident en rien le peuple qu'ils prétendent représenter contre les «élites corrompues». Et ils péjorent même souvent leurs amis et patrons de l'économie, qui leur sont alliés.
C'est le résultat d'une grande étude historique publiée par l'Institut pour l'économie mondiale de Kiel, un important think tank libéral en Allemagne et en Europe. Les économistes sont remontés jusqu'en 1900 pour collecter des données sur les performances de plus de 50 populistes, de Mussolini et Hitler à Berlusconi et Bolsonaro, en passant par Erdogan et Orban.
Selon l'étude, voici la tendance habituelle et économique des régimes caractérisés comme «populistes»: les choses continuent plus ou moins comme avant pendant trois ans. Ensuite, tout bascule. Les conditions se détériorent et passent sous la moyenne mondiale. Elle s'y maintient souvent au-delà d'une décennie.
Après une décennie de populisme, la consommation et la création de valeur auront alors considérablement diminué. Et si les populistes promettent monts et merveilles, «ils ne livrent pas la marchandise» promise.
Une explication possible est que les populistes affaiblissent les institutions auxquelles les démocraties libérales doivent en partie leur prospérité:
Prenons la Hongrie de Viktor Orban. Car sa trajectoire a été étudiée par Donald Trump et ses alliés et de nombreux populistes européens le considèrent comme un modèle. Et son système pourrait être appliqué aux Etats-Unis si Trump est réélu en novembre. Avant son élection, les institutions hongroises étaient considérées comme aussi bonnes que celles des Etats-Unis. Aujourd'hui, elles sont les plus corrompues de l'Union européenne.
La scientifique américaine Rachel Kleinfeld, de la prestigieuse fondation Carnegie, explique comment Orbán a provoqué cette descente aux enfers. Il a commencé par s'attaquer aux médias, comme le font presque tous les populistes. Lorsque les entreprises de médias faisaient des reportages négatifs sur lui ou son parti, il supprimait, en représailles, les annonces publicitaires des organismes liés à l'Etat, par exemple pour les loteries, le tourisme ou les emplois vacants.
Si cela ne suffisait pas, c'était l'administration fiscale qui leur tombait dessus, puis des réglementations défavorables. Le président hongrois a porté le coup fatal en créant une nouvelle autorité sanctionnant les entreprises accusées de ne pas publier des informations suffisamment équilibrées.
Résultat: sous pression financière, fiscale et politique, il n'a pas fallu longtemps pour que les médias critiques à l'égard d'Orban plient. La plupart des médias indépendants ont fini par être vendus à des entreprises proches du gouvernement, pour être ensuite financés par des fondations choisies sur le volet. Aujourd'hui, ils peuvent être mobilisés à tout moment contre les opposants politiques.
Les banques ont également été mises à contribution. Beaucoup de leurs débiteurs hypothécaires s'étaient endettés à des taux d'intérêt bas, mais en devises étrangères, souvent en francs suisses d'ailleurs. Lorsque le franc s'est fortement apprécié, ces débiteurs n'ont plus pu payer. C'était un véritable problème qu'Orban a résolu pour le plus grand plaisir des débiteurs, au détriment des banques et à son propre avantage.
Il a contraint les banques à cesser de commercer avec des monnaies étrangères et à supporter elles-mêmes les pertes, qui se sont révélées élevées. Il a ensuite imposé une «taxe de crise» et introduit un plafond pour les prix.
Résultat? De nombreuses banques ont fait faillite et ont été rachetées par les alliés d'Orban. Aujourd'hui, la moitié du secteur financier est soumis à ce régime, de même que le flux de crédit vers les entreprises. En fin de compte, ce sont de nombreuses entreprises qui sont de facto sous le contrôle de l'Etat.
Les petits commerces ont également été touchés. Auparavant, les petits marchands de journaux des régions rurales vivaient de la vente de tabac. Lorsqu'Orban a instauré un monopole d'Etat sur les produits du tabac en invoquant la santé publique, ils ont perdu leur moyen de subsistance.
Le temps qu'il se rende compte de la situation délétère qu'il avait mise en place, 35 000 petits commerces avaient disparu. Mais Orban en a entre-temps profité: plus d'un tiers des nouvelles licences de tabac ont été accordées à des amis et des alliés politiques.
Le père de Viktor Orban est ainsi devenu l'une des personnes les plus riches du pays. Il possède une entreprise minière qui a remporté tous les appels d'offres de l'Etat. Que ses offres soient 70% plus élevées que celles de la concurrence ne semble pas peser dans la balance.
Les amis d'enfance d'Orban et de nombreux citoyens de son village natal ont également été propulsés parmi les gens les plus riches du pays. Mais si certains s'élèvent, d'autres tombent aussi, à l'image du meilleur ami d'enfance du président hongrois. Après s'être enrichi, il a commencé à agir de manière trop indépendante au goût d'Orban, qui ne pouvait plus le contrôler. Celui-ci l'a forcé à vendre ses entreprises et à quitter le pays.
Pour Rachel Kleinfeld, il s'agit ici d'une erreur classique, commise par de nombreux dirigeants économiques trop liés à des politiciens autoritaires, y compris en Allemagne sous Adolf Hitler. Car s'il est possible d'obtenir de bons contrats lucratifs en étant l'ami des puissants, il est bien plus difficile de s'imposer dans un véritable système de concurrence et de fabriquer de bons produits. Pendant un certain temps, tout va bien, donc. Mais, comme l'écrit Kleinfeld, on ne reste pas durablement ami avec les populistes.
Les patrons qui négligent cela se retrouvent rapidement réduits à faire de la lèche. Et s'ils se rebiffent, ils subiront le même sort que l'ancien meilleur ami d'Orban, voire pire.
Mais le système Orban ne correspond pas aux schémas politiques habituels. Ainsi le pays compte la proportion la plus élevée de personnes travaillant dans le secteur public en Europe de l'Est. Un marqueur que l'on peut associer plutôt à la gauche. On note aussi que la propriété privée est mal protégée. Elle peut être facilement confisquée – selon le bon vouloir d'Orban.
A l'inverse, sous certains aspects, le système semble s'inspirer de la droite libérale. En effet, les entreprises hongroises paient les impôts les plus bas d'Europe et les consommateurs paient une TVA très élevée, par exemple.
C'est ce qui caractérise un système populiste, comme l'explique Rachel Kleinfeld. Tout le pouvoir est centralisé chez Orban, et il l'exerce à son profit et selon ses humeurs. Sa devise pourrait être:
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)