Ce n'est pas souvent que quelqu'un se révèle dangereux pour Viktor Orban. Depuis près de quatorze ans, il dirige de manière presque incontestée son pays. Mais aujourd'hui, un obstacle se dresse sur sa route. Cet obstacle, c'est un homme, encore inconnu il y a peu, qui fait aujourd'hui descendre des dizaines de milliers de personnes dans la rue. Son nom: Peter Magyar. On pourrait le croire du côté de l'opposition, mais non. Il a été pendant des années membre du propre parti d'Orban, le Fidesz.
Peter Magyar qualifie la Hongrie d'Orban d'«état mafieux» et accuse l'entourage du dirigeant de corruption et d'abus de pouvoir.
Ces derniers jours, il a sillonné plusieurs provinces du pays, rassemblant à chaque fois de nombreux citoyens. Il est l'invité de youtubeurs connus, fait la Une des journaux et des magazines, et entend se présenter aux élections européennes avec le parti Tisza, jusqu'ici relativement méconnu.
Et il n'y a pas qu'en Hongrie que l'on se demande si Magyar peut déstabiliser Orban, qui règne sans partage depuis quatorze ans.
Péter Magyar and his acquired party, TISZA kicked off their EP-campaign events in the Southeastern county of Békés today. Fair to say there was quite an interest in him. pic.twitter.com/QCqfgfnr1S
— Csaba Tóth (@tothcsabatibor) April 18, 2024
Peter Magyar a soudainement été propulsé sur la scène politique en février – à cause de son ex-femme, Judit Varga, bien plus célèbre. Elle a été ministre de la Justice jusqu'en juillet 2023 et elle voulait être la tête de liste du Fidesz aux élections européennes. Mais un soi-disant «scandale de pédophilie» a éclaté. Avec la présidente du pays, Katalin Novak, les deux femmes ont alors disparu des radars.
L'affaire avait débuté en janvier: Katalin Novak a gracié en avril 2023 un homme qui protégeait les multiples abus sur enfants de son patron. Judit Varga, alors ministre de la Justice, avait contresigné l'acte de grâce. Le fait que des représentantes du Fidesz pardonnent un homme condamné pour complicité d'abus sexuels sur des enfants n'a pas donné une bonne image du gouvernement, qui se présente constamment comme le protecteur de la jeunesse.
Par conséquent, Orban a rapidement pris ses distances avec ses deux compagnonnes de route qui, peu de temps auparavant, étaient encore considérées comme les visages sympathiques de la nation et qui faisaient en outre partie des rares femmes à occuper des postes politiques de premier plan en Hongrie. Déjà à l'époque, on se demandait ce qu'Orban lui-même savait de cette affaire.
Peter Magyar a également alimenté ce sursaut de contestation. Presque en même temps que la départ de son ex-femme, il a démissionné de ses fonctions de dirigeant dans des entreprises publiques, a quitté le Fidesz – et s'est mis à tirer à boulets rouges sur le gouvernement:
Tout cela, il l'a annoncé dans un post Facebook, qui a fait grand bruit. Qu'un membre du parti s'oppose aussi ouvertement à Orban, c'est très inhabituel en Hongrie.
«Peter Magyar bouscule désormais un système qui, depuis la fin des années 1990, a été principalement marqué par deux personnalités: à droite Viktor Orban et à gauche Ferenc Gyurcsany», explique Michael Winzer, directeur du bureau de Budapest de la Konrad-Adenauer-Stiftung. Gyurcsany a lui-même été premier ministre dans les années 2000, et marque depuis de manière déterminante le paysage de l'opposition.
Dans ce système polarisé, aucune autre force politique sérieuse n'a pu se développer pendant longtemps, décrypte Michael Winzer. Mais c'est en train de changer:
D'après l'expert, Magyar profite du mécontentement actuel en Hongrie. L'inflation a frappé le pays de plein fouet ces deux dernières années, atteignant parfois plus de 25%, ce qui est bien supérieur à la moyenne européenne. Les prix des denrées alimentaires en particulier augmentent de manière drastique, parfois jusqu'à 46%.
Le gouvernement Orban attribue cette situation aux sanctions contre la Russie à cause de la guerre en Ukraine et parle même d'«inflation des sanctions». Mais les experts fustigent également une politique économique maladroite ainsi qu'une corruption endémique. Son taux a certes nettement baissé, mais l'insécurité persiste.
Peter Magyar a fait de la dénonciation de la corruption son cheval de bataille. Pour le prouver, il a même publié un enregistrement audio clandestin d'une conversation datant du début de l'année 2023 avec son ex-épouse, dans lequel elle parle de la corruption au sein de son ministère. Elle a rétorqué que son ex-mari l'avait manipulée et contrainte à des déclarations qui n'étaient pas vraies. Une accusation que Magyar conteste à son tour.
La dénonciation permanente de la corruption est au cœur des discours de Magyar, qui durent souvent une heure. Les Hongrois en ont assez, répète-t-il sans cesse, ils veulent à la place une Hongrie démocratique et moderne. Mais au-delà de cela, que représente vraiment cet homme dont le nom de famille signifie justement «Hongrois»?
Selon Michael Winzer, on ne sait pas encore très bien quelles positions Magyar défend exactement:
Actuellement, il semble surtout incarner un «Fidesz meilleur, sans scandales», selon le spécialiste. Voilà pourquoi Magyar cherche à représenter une Hongrie européenne. Mais contrairement aux candidats de l'opposition qui, comme Peter Marki-Zay, se sont volontiers distingués d'Orban en brandissant des drapeaux à la fois hongrois et européens lors de la campagne électorale de 2022, seul l'étendard national flotte aujourd'hui dans les rassemblements organisés en soutien à Magyar.
Magyar ne s'est pas non plus exprimé concernant la guerre en Ukraine. Son point de vue sur cette question suscite beaucoup de curiosité puisqu'on attend de voir s'il se démarquera de la politique pro-russe d'Orban. L'actuel premier ministre avait récemment déclaré ne plus considérer l'Ukraine comme un Etat souverain.
Les premières déclarations de Magyar ne laissent toutefois entrevoir que des positions vagues, qui se distinguent clairement des mots agressifs d'Orban, du moins sur le plan rhétorique. Dans une liste de neuf points qu'il a récemment partagée sur Facebook, l'homme de 43 ans semble s'efforcer d'adopter une position équilibrée. Sur certaines questions, il reste proche des positions du Fidesz. Ainsi, les livraisons d'armes n'y figurent pas et il insiste sur les droits de la minorité hongroise en Ukraine – un sujet qu'Orban remet régulièrement sur la table pour s'opposer à l'Ukraine.
Un autre sujet laisse en revanche moins de place à l'interprétation: «Accepter la perte du territoire ukrainien, c'est re-légitimer les guerres de conquête en Europe et supprimer les garanties de sécurité interétatiques» – des mots qu'Orban ne prononcerait pas. Mais pour Michael Winzer, Magyar ne mènerait pas une politique étrangère fondamentalement différente de celle d'Orban.
Finalement, qui cette nouvelle figure met-elle en danger avec ses positions? Le Fidesz au pouvoir ou plutôt l'opposition, qui n'a pas réussi jusqu'à présent à s'allier pour réduire l'emprise d'Orban? Les élections européennes du 9 juin nous le diront. Le Fidesz se montre jusqu'à présent détendu. De son côté, Magyar prédit que le résultat de ce scrutin sera «le premier clou du cercueil» du système Orban.
Un sondage réalisé par Europe Elect pour le magazine en ligne Euroactiv donne une première tendance, à interpréter avec prudence: le parti de Magyar pourrait obtenir trois sièges au Parlement – mais au détriment de l'opposition. Le Fidesz, quant à lui, récolte pour l'heure dix sièges.
(Adaptation française: Valentine Zenker)