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Discours de l'état de l'Union: Joe Biden va-t-il trébucher?

Discours de l'état de l'Union: Biden va-t-il trébucher?
Dans la nuit de jeudi à vendredi (heure suisse), Joe Biden, 81 ans, prononcera le discours sur l'état de l'Union.images: getty, canvas, montage: watson
Analyse

Joe Biden va-t-il trébucher en direct devant des millions d'Américains?

Jeudi, tard dans la nuit, le président des Etats-Unis joue sa campagne et sa crédibilité. Devant le Congrès et sur les postes de télévision de tout le pays, il prononcera le traditionnel discours sur l'état de l'Union. Sauf que, cette année, plus rien n'est vraiment traditionnel: Joe Biden, fragilisé et impopulaire, risque la chute politique et... physique.
07.03.2024, 17:5907.03.2024, 17:59
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En coulisses, on raconte que Joe Biden regrette d'avoir zappé (pour la deuxième fois consécutive) l'interview d'introduction du Super Bowl. Un moment de télévision populaire et consensuel, que les présidents utilisent d'ordinaire pour s'adresser directement au peuple américain, profitant ainsi de l'audience dodue aimantée par la finale. A l'époque, la Maison-Blanche justifiait ce lapin présidentiel en arguant que les citoyens, considérés comme «fatigués», méritaient une «pause politique». Soit.

Un mois plus tard, la primaire républicaine a été tuée dans l'oeuf, Donald Trump collectionne les bonnes nouvelles (électorales et judiciaires) et certains stratèges démocrates, impatients, considèrent que Biden n'a pas tout à fait réalisé que «la campagne a démarré depuis longtemps».

Dans la nuit de jeudi à vendredi (heure suisse), le candidat de 81 ans est censé pouvoir poser deux ou trois sparadraps sur ses balafres. Il prononcera le discours sur l'état de l'Union, devant l'ensemble du Congrès et sous les yeux de millions d'Américains postés devant leur téléviseur. C'est l'équivalent politique du fameux «bilan et perspectives», auquel on a tous droit en entreprise. Si ce rendez-vous annuel est souvent considéré comme une formalité indolore (certains diraient folklorique), cette année, le président y jouera sa campagne et sa crédibilité. En clair, Biden est attendu au tournant et n'a pas intérêt à merder.

D'autant qu'il ne compte plus les épines dans le pied. La plus sournoise et la plus douloureuse se cache dans les sondages. Un dernier pointage du New York Times, publié cette semaine, révèle que 23% des électeurs démocrates ne sont «pas enthousiasmés» par la candidature du président Biden.

Un virus dans le message

Confronté à un vote de défiance de la part de la très jeune garde démocrate, considérant que le locataire de la Maison-Blanche laisse faire Netanyahou à Gaza, Biden pourrait également voir s'effriter le soutien des Latino-Américains, qui ne voient plus forcément d'un mauvais œil l'élan ultraconservateur et religieux d'un Donald Trump. Peut-être moins tapageuse, mais sévèrement incrustée dans l'esprit des citoyens, cette cruelle impression que l'économie américaine est à bout de souffle. Or, le chômage rase les pâquerettes et l'inflation se dégonfle à vue d'œil.

Pour Biden, le défi est donc de taille, puisqu'il doit non seulement combattre une idée reçue, mais prouver élégamment à ses électeurs qu'ils se trompent et défendre un bilan qui est objectivement très bon.

«Les électeurs semblent se concentrer sur les choses les moins favorables aux démocrates et ont tendance à minimiser les projets en cours qui auront un bénéfice assez substantiel sur l'économie américaine»
Ross K. Baker, professeur de sciences politiques à l'Université Rutgers, interrogé par The Hill

Ils sont nombreux, dans son camp, à marteler que le message général doit être rafistolé. Que c'est le dernier moment pour le rendre plus audible, plus clair, plus endurant. Remarquez, ils sont tout aussi nombreux à avoir secrètement compté sur les mensonges et les déboires judiciaires du milliardaire MAGA pour cueillir les lauriers sans grands efforts. Si le stratège politique Cornell Belcher «pense que nous avons un bon candidat et une bonne histoire à raconter», les plus pessimistes rétorquent «Ok, mais quand?».

Une promesse non tenue

On a parfois tendance à l'oublier, mais, il y a tout juste quatre ans, Joe Biden faisait campagne sur son utilité provisoire. Un candidat transitoire, le temps de panser les plaies d'un Donald Trump qui a tout salopé sur son passage et de confier le volant du monde à une Kamala Harris plus fringante pour durer.

«Écoutez, je me considère comme un pont, pas autre chose»
Biden, dans un meeting, à Detroit, en mars 2020

Les électeurs qui ont catapulté le démocrate de 81 ans dans le Bureau ovale, en 2020, ne s'attendaient manifestement pas à ce qu'il s'incruste. Et cette pilule a du mal à passer la trachée. Comme le rappelait très bien The Atlantic, les Américains ont tendance à punir systématiquement les yeux plus gros que le ventre: «Hillary Clinton figurait parmi les dirigeants les plus admirés du pays lorsqu'elle a quitté son poste de secrétaire d'État début 2013. Cette estime s'est considérablement érodée lorsqu'elle a commencé à briguer une promotion en 2015».

Que Joe Biden justifie aujourd'hui l'importance de sa réélection par «une démocratie mise en danger» ne convainc pas. Du moins pas toute seule. Sa candidature est au contraire accueillie comme une parole qu'il n'a pas tenue, renforcée par le fait qu'il n'a jamais poussé la moindre relève fiable sous les projecteurs. C'est peut-être injuste, mais ce sont autant de choix qui ont tendance à le dévoiler peu à peu comme un homme aussi buté et égoïste que Donald Trump... la popularité et les petites victoires médiatiques en moins.

Son âge? Une polémique impossible à éteindre

Cerise sur le gâteau, cette promesse non tenue nourrit goulûment les voix qui le jurent inapte à assumer un second mandat. Joe Biden est vieux. Donald Trump aussi. Or, ils l'étaient déjà, il y a quatre ans, lors d'un premier duel qui opposait les deux candidats à la présidence les plus âgés de l'histoire des Etats-Unis. Et ce duel, personne n'en veut.

Dans un monde idéal (et surtout selon des sondages tenaces), Trump devrait croupir en prison et Biden cultiver des cardons. Les yeux du monde sont donc rivés sur des informations qui n'ont plus grand-chose de politique. En ce qui concerne le président, l'âge inquiète moins que ses ravages apparents.

Son médecin a beau l'avoir récemment vendu «en bonne santé, actif et solide», Biden parle peu, lentement, difficilement. Son corps tremblote, ses yeux se plissent dès qu'une syllabe est escarpée et ses déplacements, même les plus courts, glacent le sang de ses équipes de campagne. Va-t-il confondre Gaza avec l'Ukraine? Macron avec un Mitterrand allemand? Déclarer la guerre à un pays imaginaire? Donner rendez-vous à un chef d'Etat décédé? Féliciter Lady Gaga pour sa relation avec Travis Kelce? Se figer derrière son pupitre?

Si bien que cette nuit, à l'occasion d'un discours sur l'état de l'Union qui n'a jamais été aussi attendu, le monde entier se concentrera sur les mille et une raisons qui peuvent le faire trébucher. Au propre, comme au figuré. Oui, ce jeudi, Joe Biden joue (très) gros. Et c'est moins le président que le candidat qui s'apprête à se mettre en danger. S'il n'a pas le droit de bafouiller ou de s'encoubler en direct, il ne peut se permettre un message doucement tiède. Hélas, dans son cas, le moindre coup de chalumeau est potentiellement explosif.

Taquin et gonflé, Donald Trump a déjà annoncé qu'il suivrait ce discours avec attention, menaçant de dégainer un «fact-checking» à sa sauce. Sortez le popcorn. (Et le café, car il vous faudra veiller jusqu'à 3 heures du matin.)

Joe Biden chute en public
Video: twitter
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