Il y a six mois, personne n'aurait pu imaginer que Donald Trump puisse être aussi peu mal en point face à la justice. Il est loin, le temps de la perquisition remarquée du FBI dans son manoir de Mar-a-Lago. Des premières inculpations qui tombaient dru et assombrissaient d'un coup sec son ciel électoral. Bien sûr, il faut relativiser la bouffée d'air frais dont Trump bénéficie aujourd'hui: le républicain a été condamné par deux fois à des amendes faramineuses et son périple en salles d'audience est loin d'être terminé.
Ceci dit, Donald Trump vient de gagner une bataille aussi surprise que capitale, dans sa guerre contre son propre agenda judiciaire.
Et c'est la vénérable Cour suprême qu'il doit remercier. Mercredi, la haute juridiction des Etats-Unis a décidé de s'emparer d'une question capitale, qui va profondément bouleverser l'élection présidentielle:
En d'autres termes, peut-il bénéficier d'une immunité présidentielle contre les poursuites pénales qui pèsent sur lui? Une première dans l'histoire américaine. Et d'abord parce qu'aucun avant lui n’a fait l’objet d’accusations criminelles. De quoi envisager, aussi, que le futur verdict fasse jurisprudence. Vous l'aurez compris: cette décision de la Cour suprême devient un pivot majeur dans le processus électoral.
Mais il y a plus grave.
Concrètement, les juges se réuniront «la semaine du 22 avril», pour un verdict attendu «avant fin juin». Au pied de la pause estivale et à quelques misérables encablures du 5 novembre. Autrement dit, il y a désormais très peu de chances pour que Donald Trump puisse être jugé avant le scrutin, dans le procès le plus dangereux pour son avenir, à savoir la tentative de renversement de l'élection présidentielle de 2020.
Sans compter qu'une autre affaire a les deux pieds dans la boue. En Géorgie, les parties de jambes en l'air de la procureure Fani Willis, qui avait réussi à inculper le candidat pour fraude électorale, ont ruiné toute chance que ce procès puisse s'ouvrir, lui aussi, avant le 5 novembre.
Comment en est-on arrivé là?
Depuis les prémices de ce périple judiciaire, les avocats du candidat républicain n'ont que deux obsessions, qui se répondent: repousser les différentes échéances aux calendes grecques et viser l'«immunité totale». Pour tenter de l'épargner, sa défense a tout misé sur une jurisprudence des années 1980, convaincue que l'immunité brandie à l'époque par le président Nixon, face à des poursuites civiles, pouvait jouer en leur faveur.
Tel un lièvre devant son gang juridique, Trump avait non seulement montré la voie, mais donné de la voix:
Partant d'un gros paquet d'emmerdes, Donald Trump a peu à peu égrainé les armes pénales braquées sur lui, en glissant régulièrement des bâtons dans les roues de ses bourreaux légaux. De bruyants recours en petits vices de procédure, le milliardaire a ainsi posé de nombreuses petites bombes dans son emploi du temps judiciaire, jusqu'à sa requête à la Cour suprême - finalement prise en compte mercredi après une longue période de tergiversations.
Pour dire à quel point ce nouveau grain de sable s'avère gigantesque, de nombreux poids lourds du droit américain considèrent cette semaine que le match est plié d'avance. Sur la plateforme X, Roger Parloff, ancien avocat, rédacteur du site Lawfare et journaliste judiciaire ayant trainé sa plume dans la plupart des grands médias du pays, a imaginé l'agenda le moins pessimiste. Avec un procès qui se tiendrait malgré tout assez tôt, sans pour autant arriver à son terme avant l'élection.
Roger Parloff n'est pas tout seul à craindre le pire. Le démocrate Marc E. Elias, qui fut l'avocat général de la campagne de John Kerry, de Hillary Clinton et, en 2020, de Joe Biden, considère que cette décision de la Cour suprême «compromet sérieusement la date du procès avant les élections de novembre». Même son de cloche du côté de l'ancien procureur fédéral Renato Mariotti, sur X: «Il est désormais probable que l'affaire pénale fédérale contre Donald Trump, concernant le 6 janvier, ne sera pas jugée avant les élections de novembre».
Elles sont nombreuses. Ayons d'abord à l'esprit que si le procès ne s'ouvre pas avant le 5 novembre et que Donald Trump est élu président des Etats-Unis, c'en est terminé pour les 91 chefs d'accusation qui cernent le candidat MAGA. Une fois dans le Bureau ovale, le milliardaire pourra également gracier une bonne grappe de proches, embourbés avec lui dans les tracas judiciaires.
Mais avant d'envisager ce nouveau monde quasi dystopique, la décision de la Cour suprême a le pouvoir d'épargner Trump d'un vote de défiance, au sein même de son parti. Une récente étude montre en effet qu'un «tiers des électeurs républicains» rejetterait le candidat favori s'il venait à être «reconnu coupable d'un crime avant le 5 novembre». Sans procès et sans condamnation, on peut donc imaginer que les indécis soient moins nombreux à lui tourner sèchement le dos, une fois seuls face à Joe Biden.
Joe Biden, parlons-en. Avec la menace d'un procès férocement retardé, le candidat démocrate va devoir se résoudre à un combat «à la loyale». Malgré la tonne d'ironie qui se cache derrière cette expression, l'actuel président des Etats-Unis n'a désormais pas d'autre choix que de muscler sa campagne et d'envisager un sans-faute. D'autant qu'il est lui aussi, face à un fort vent contraire dans son propre camp, il s'est mangé un vote contestataire cette semaine, durant la primaire du Michigan. Près de 100 000 électeurs démocrates l'ont ainsi sanctionné pour son soutien à Israël et le financement américain de la guerre à Gaza. Dans le lot, une part non négligeable de musulmans qui se sentent «trahis».
Enfin, et pas des moindres, la Cour suprême devra également statuer sur l'inéligibilité du 45ᵉ président des Etat-Unis, pour cause d'«insurrection», décidée par différents tribunaux régionaux. Mais, là aussi, il y a peu de chance que la plus haute juridiction prenne un risque aussi radical que... politique.
Si cette élection présidentielle est toujours aussi historique, elle devient de plus en plus explosive, à mesure que Donald Trump redevient un candidat (presque) ordinaire. N'en déplaise à Nikki Haley qui, vendredi, a martelé que «nous devons savoir ce qui se passe avant le 5 novembre, car après ce sera trop tard». Il reste six mois à la justice pour être on time. Et dans un tribunal, ça équivaut à un sprint.