Prenez le président Joe Biden, ajoutez une poignée de journalistes, un conflit mondial, un cône de glace et une poignée de pépites de menthe. Vous obtenez un désastre de relations publiques.
Rembobinons. Nous sommes le 27 février, à New York. Convié sur le plateau du Late Night Show, lundi soir, par le délicieux et alléchant présentateur Seth Meyers, à l'occasion du 10ᵉ anniversaire de l'émission, un Joe Biden en roue libre lâche quelques blagues sur son âge (un sujet «classifié»), Donald Trump et Taylor Swift. Bref, c'est la grande forme.
Enivré par ce succès et ces éclats de rire, à l'issue de l'interview, l'humoriste convie son invité à l'accompagner chez Van Leeuwen, marchand de glaces réputé de la Big Apple, situé à une minute à pied du studio. Si les habitudes alimentaires de Joe Biden vous sont un tant soit peu familières, vous savez ce que cette proposition implique. Comme dit l'adage ancestral: Seth Meyers a fait entrer le loup dans la bergerie. Car Joe Biden adore les glaces.
Ni une ni deux, voilà le président et le présentateur au comptoir de Van Leeuwen, à commander avec une joie enfantine des parfums introuvables sous nos latitudes. «Pépites de menthe» pour Joe Biden, «honeycomb» (nid d'abeille) pour Seth Meyers. Jusque-là, à l'exception de ce choix douteux (sérieusement, qui aime la glace à la menthe?), tout va bien.
Ils viennent à peine d'entamer leur dessert quand une poignée de journalistes se pointe chez le glacier pour s'adresser au chef de l'Etat. La question qui fâche tombe entre deux léchouilles. «Pouvez-vous nous donner une idée du moment où le cessez-le-feu [au Moyen-Orient] commencera, monsieur?»
Joe Biden vient alors à peine d'entamer sa boule, telle une tortue s'attaquant à un morceau de laitue. Dans ce qui semble être une démonstration de confiance, il s'avance, cornet à la main, vers son interlocuteur. «J’espère d’ici… la fin du week-end», répond-il, son précieux cône maintenu entre les doigts, toujours à portée de bouche. «Mon conseiller à la sécurité nationale me dit que nous sommes proches. Nous sommes proches. Ce n'est pas encore fait.»
160 children are murdered every day by Israel 🇮🇱 in Gaza🇵🇸. One child murdered every 10 minutes
— Howard Beckett (@BeckettUnite) February 27, 2024
Children are eating animal feed to not starve to death
Here Biden licks an ice cream as a prop, with a casual disinterest to genocide
Joe Biden disgusts.
pic.twitter.com/fnwEKO9oYo
Il n'en fallait pas plus pour que ce qui devait être la visite tranquille et détendue d'un glacier du centre de Manhattan fasse le tour du monde. Et suscite, immanquablement, des hurlements d'indignation, de perplexité, de dégoût et d'horreur. «Irresponsable, sourd et sans tact», dénonce Mairav Zonszein, journaliste et commentateur israélo-américain, sur X.
Si certains s'indignent, à raison, du contraste assez malheureux entre une guerre ayant fait environ 30 000 victimes et du dessert aux pépites de menthe, d'autres détracteurs voient la preuve, encore une, que Joe Biden, ce bouffeur de glace invétéré, est un vieillard gâteux. Un gourmand indigne de sa fonction. «Pendant que le monde brûle, Joe Biden lèche sa glace», soupire l'animatrice Jeanine Pirro sur Fox News, quand son collègue Jesse Watters y voit comme un signe des «facultés diminuées» du démocrate.
«Vous savez qui s'excite pour les glaces? Les enfants et les personnes âgées. Il y a une raison pour laquelle les soignants livrent des glaces à leurs patients dans les maisons de retraite», ricane l'expert politique Jesse Watters lors de son émission, mardi soir.
Pas assez «présidentiel», le cornet de glace? Certes, on a connu aliment plus facile et plus élégant à consommer en public. Pas vraiment l'accessoire idéal pour aborder un cessez-le-feu. La crème, ça coule, c'est salissant, ça nécessite de rester attentif - le cauchemar incarné d'un politicien. C'est une douceur sucrée, presque un aveu de faiblesse. Et oui, c'est vrai, la vision d'un adulte toute langue dehors peut s'avérer un poil infantilisant. Toutefois, il en aurait fallu plus pour freiner les ardeurs des prédécesseurs de Joe Biden. De Barack Obama à George W. Bush, en passant par Donald Trump, tous ont été immortalisés cornet au bec.
Accordons à Joe Biden que le moment est mal tombé. L'«ice-cream guy» autoproclamé a été interrompu sur sa lancée par la question sur Gaza. Ce n'est pas tout à fait comme s'il avait lancé à son interlocuteur un honnête: «Attendez. Si nous voulons parler de guerre, je dois d'abord avoir un shot de sucre.» Ou s'il s'était planté sur son pupitre présidentiel pour réciter un discours officiel, glace à main.
Ceci dit, un incident presque similaire s'est produit pas plus tard que l'an dernier. Lors d'une allocution à la Maison-Blanche, Joe Biden a admis face à la presse qu'il venait d'assister à un évènement public, uniquement parce qu'on lui avait promis qu'il y dénicherait de la crème glacée. Une confession touchante, certes, mais sans doute un brin déplacée, quand on sait qu'il abordait dans la minute suivante la tragique fusillade de masse ayant fait six morts dans une école primaire de Nashville quelques heures plus tôt.
L'«ice-cream gate» de cette semaine aura toutefois inculqué au 46ᵉ président une leçon: avant de parler politique, mieux vaut poser son cornet.