Les menaces recommencent: le président russe Vladimir Poutine a déclaré, dans un discours, la semaine dernière, que le risque d'une guerre nucléaire s'était accru. Mais le propos a changé: si la Russie se dit prête à défendre son territoire «par tous les moyens», elle considère désormais son arsenal nucléaire comme «uniquement» dissuasif.
On est loin des menaces proférées à de multiples reprises envers l'Ukraine et ses alliés depuis le début de la guerre. Que cache ce soudain rétropédalage dans la bouche de Vladimir Poutine?
Ces derniers temps, le maître du Kremlin a dû essuyer de nombreuses défaites militaires. L'Ukraine attaque, avec des drones, des infrastructures militaires très importantes en Russie. Jeudi encore, des incendies et des nuages de fumée étaient visibles à Belgorod, près de la frontière ukrainienne, comme en témoignent les photos. C'est mauvais signe pour Poutine.
En effet, l'image d'invulnérabilité que le Kremlin s'est forgé depuis le début de la guerre se fragilise. De nombreux soldats russes s'en rendent compte en première ligne, eux qui se heurtent, depuis des mois, à des sections de front bien défendues sans pouvoir progresser. Leur moral n'est pas le seul à en pâtir.
En réalité, les menaces d'armement nucléaire de Poutine paraissent être principalement un signal adressé à la population russe, qui est de plus en plus lasse de la guerre.
Après neuf mois d'invasion, la Russie est presque partout sur la défensive en Ukraine. Ce n'est que dans le Donbass que l'armée russe progresse un peu, mais au prix de lourdes pertes. Les attaques ciblées menées par les Ukrainiens en territoire russe renforcent cette impression. Et contrairement à la stratégie de terreur russe – qui consiste à bombarder la population civile ukrainienne – Kiev limite ses attaques à des cibles militaires.
Les frappes ukrainiennes n'ont pas seulement lieu dans les régions russes de Koursk, Briansk et Belgorod, limitrophes de l'Ukraine, ou dans la péninsule de Crimée, annexée par Moscou. Elles s'étendent désormais sur des centaines de kilomètres à l'intérieur du territoire russe et menacent des bases aériennes et des bombardiers stratégiques qui font partie de l'arsenal de dissuasion nucléaire de Moscou.
Comme souvent, l'Ukraine ne reconnaît pas ces attaques. Elle laisse tout au plus entendre qu'elle y a participé par des commentaires haineux. «Que cela brûle», a par exemple écrit le chef de la présidence ukrainienne, Andrii Yermak. Pour Poutine, ces frappes sont très embarrassantes et révèlent la double vulnérabilité de la Russie:
Par le passé, le Kremlin a utilisé les menaces nucléaires pour faire du chantage aux alliés occidentaux afin qu'ils livrent moins d'armes à l'Ukraine. Aujourd'hui, les dirigeants russes semblent avoir un autre objectif: rappeler aux habitants de la Russie qu'ils sont protégés par le parapluie nucléaire du Kremlin.
En effet, malgré les déclarations de Poutine, l'utilisation d'armes nucléaires par la Russie est devenue moins probable ces derniers mois. Le sommet du G20 en Indonésie ou encore la visite d'Etat du chancelier allemand Olaf Scholz à Pékin ont montré qu'une grande partie du monde condamne déjà fermement la menace d'utilisation d'armes nucléaires. Même la Chine et l'Inde se sont clairement opposées au Kremlin sur cette question.
Les menaces nucléaires indirectes n'ont pas eu l'effet escompté pour Poutine. Les Occidentaux continuent à soutenir l'Ukraine et Russie est de plus en plus isolée sur la scène internationale. Le président russe en a bien conscience. C'est pourquoi il a adapté son discours: désormais, il affirme que les armes de destruction massive sont uniquement un «moyen de défense» et non un outil d'attaque.
Poutine souhaite ainsi rassurer ses derniers alliés. La Chine, par exemple, romprait avec le Kremlin si l'armée russe utilisait effectivement des armes nucléaires.
Pour le maître du Kremlin, il était toutefois risqué d'évoquer à nouveau la possibilité d'une guerre nucléaire publiquement. Le fait qu'il prenne, malgré tout, ce risque montre sa faiblesse face à la répétition de mauvaises nouvelles pour lui et l'armée russe.
Et l'Ukraine et l'Occident? Bien sûr, les menaces de Poutine sont prises au sérieux, car la Russie dispose, en effet, d'un important arsenal nucléaire. Mais les politiciens occidentaux ne semblent plus paniquer à chaque fois que Poutine parle de la bombe atomique. Désormais, l'Occident évalue mieux les menaces de Moscou.
L'Occident et l'Ukraine ne se laissent donc pas démoraliser par Poutine - et continuent sur leur lancée dans le conflit. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a reconnu qu'il existait un risque d'attaques ukrainiennes contre la Crimée.
La Russie a déjà réagi aux attaques ukrainiennes en lançant de nouveaux missiles contre la population civile. Poutine a annoncé qu'il poursuivrait ses attaques contre les infrastructures énergétiques de l'Ukraine. «Oui, nous allons le faire. Mais qui a commencé?», a-t-il déclaré, jeudi, lors d'un événement au Kremlin. Selon lui, il s'agit de la réponse de la Russie à la fameuse explosion sur le pont menant à la Crimée et à d'autres attaques dont la Russie tient l'Ukraine pour responsable.
Comme précédemment, le Kremlin se met en scène en tant que victime et légitime les tirs sur les villes ukrainiennes par des échecs militaires.
Vendredi dernier, c'était la «Journée des héros de la patrie» en Russie. Poutine a fêté l'événement au Kremlin avec du champagne et a félicité son pays de poursuivre son combat malgré le «bruit que fait l'Occident» autour de la guerre. Il n'est pas certain que ce récit fasse encore long feu auprès de la population russe. Une chose est toutefois claire: Poutine a besoin de toute urgence de mettre fin aux problèmes militaires.
Traduit de l'allemand par Léon Dietrich