Léon Trotski était un précurseur des bolcheviks. Après le succès de la révolution d'Octobre, il a engagé les Russes dans le concept de «révolution permanente». Entendez par là une transformation perpétuelle de la société capitaliste jusqu'à la victoire finale du communisme.
Vladimir Poutine n'est pas communiste, mais il a visiblement sa propre version d'une révolution perpétuelle: il veut une guerre sans fin. «Poutine a pratiquement cessé de parler d'objectifs de guerre concrets», explique le politologue Maxime Trudolyubov au Guardian.
Un diplomate dont l'identité n'a pas été révélée est cité comme suit par le média britannique: «Poutine prépare la population russe à une guerre qui ne se terminera jamais».
Pourtant, une guerre sans fin n'était pas prévue. Poutine voulait conquérir l'Ukraine dans une guerre éclair et installer un gouvernement fantoche à Kiev. Ça s'est très mal passé. Après avoir subi de lourdes pertes, les troupes russes ont dû se replier dans le Donbass et restituer aux Ukrainiens de vastes territoires conquis auparavant.
En réponse à ces défaites, Poutine a convoqué 300 000 réservistes à l'automne dernier. Ceux-ci auraient dû épuiser les soldats ukrainiens au cours des dernières semaines d'une offensive hivernale. Ce plan n'a pas fonctionné non plus. Les troupes russes n'ont pu remporter de succès notables sur aucun front. Et ça ne devrait guère changer.
L'expert militaire américain Rob Lee explique également au Guardian qu'actuellement, un maximum de 10% des soldats russes est capable de mener des actions offensives.
Les troupes russes ne se sont apparemment toujours pas remises de leur défaite des premiers jours de la guerre. Margarita Konaev et Owen Daniels, deux experts militaires, déclarent d'ailleurs dans Foreign affairs:
Selon eux, il est donc tout à fait possible que la «guerre sans fin» de Poutine prenne bientôt fin involontairement.
Les conséquences de la guerre et des sanctions sont également de plus en plus perceptibles dans l'économie russe. Les principaux clients du pétrole et du gaz ont disparu. Dans le même temps, les dépenses publiques ont explosé. En janvier et février, les revenus des combustibles fossiles ont chuté de 46% en glissement annuel et les dépenses publiques ont grimpé de plus de 50%.
«L'économie russe est sur le point de tomber dans une longue récession», a déclaré au Wall Street journal (WSJ) Alexandra Prokopenko, une haute fonctionnaire de la banque centrale russe qui a quitté la Russie dès les premiers jours de guerre.
Pour Oleg Deripaska, oligarque des matières premières:
En fait, les perspectives économiques de la Russie sont plutôt sombres. Pour maintenir l'équilibre de sa trésorerie, le prix du pétrole devrait être supérieur à 100 dollars le baril. En février, cependant, le pétrole russe s'échangeait à un prix moyen de 49,56 dollars le baril. Au cours des deux premiers mois, le déficit du Trésor était donc de 34 milliards de dollars.
Cela ne signifie pas pour autant que la Russie sera bientôt ruinée. Il reste encore 147 milliards de dollars dans le fonds souverain. Mais Poutine ne peut plus tenir sa promesse de ne pas réduire l'économie civile malgré la guerre. Une grande partie de la production industrielle consiste désormais à fabriquer des fusées, des munitions d'artillerie et des vêtements pour les soldats. «Ce n'est pas une véritable croissance de la productivité», explique Alexandra Prokopenko. «Ce n'est pas du développement économique.»
La consommation aussi s'effondre. Les ventes au détail ont chuté de 6,7 points de pourcentage en 2022. En février, 62% de voitures en moins ont été vendues par rapport à l'année précédente. Le rouble a été dévalué de 20% et l'inflation est actuellement de onze pour cent. En outre, des centaines de milliers de jeunes hommes ont émigré ou ont été enrôlés dans l'armée.
Tout cela aura des conséquences. Wasily Astrow, économiste à l'Institut d'études économiques internationales de Vienne (wiiw), explique donc au WSJ:
Cependant, la population semble s'être adaptée à l'économie et la guerre sans fin de Poutine. Andrei Kolesnikov du groupe de réflexion Carnegie Endowment a notamment déclaré au Guardian que «la plupart des Russes ont accepté que cette guerre ne se terminera pas de sitôt et pensent qu'ils devront s'habituer aux nouvelles conditions».