L'armée russe s'y connaît en chars. L'histoire en témoigne. Le char, symbole de puissance et d'intervention de pouvoirs centraux pour asseoir leur pouvoir, a fait son retour avec la guerre qui ravage actuellement l'Ukraine. Mais après un mois et demi de conflit, le bilan est fatal pour les blindés de Moscou. Selon le site spécialisé Oryx, qui fonde son travail de comptabilisation sur des preuves visuelles, la Russie a déjà perdu 427 de ses appareils au 6 avril (ceux-ci ayant été détruits, endommagés, abandonnés ou encore capturés). Ce qui équivaut à un tiers de leurs effectifs engagés initialement.
Comment expliquer cette situation inattendue? Le divisionnaire Mathias Tüscher, commandant de la division territoriale 1, a quelques idées. D’après ce qu'il voit sur les images et ce qu'il entend des services de renseignement, les Russes ne semblent pas avoir engagé l’ensemble de leurs moyens. «C’est très étonnant, commente-t-il. La plupart des chars déployés par leur armée sont d’une technologie des années 70-80. Or, ils en ont des plus modernes.» Il poursuit:
Dans Le Figaro, Marc Chassillan, ingénieur et expert en systèmes d'armement, a relevé, lui, un autre problème potentiel: la mauvaise utilisation de ces véhicules. «Les chars s'engagent normalement en interarmes: l'artillerie est supposée faire le ménage devant et l'infanterie est censée escorter sur les flancs et nettoyer les tentatives d'embuscade.» Une donnée qui serait absente ici, les tanks apparaissant relativement solitaires sur le terrain.
Mathias Tüscher ne partage pas cette analyse: «Les Russes ont beaucoup d’expérience dans l’engagement de chars, ils savent manœuvrer. Et ce sont des spécialistes de l’engagement de l’artillerie, donc à mon avis ce n’est pas là que réside le problème.»
Pour lui, ce que le camp russe a étonnamment sous-estimé, ce sont les forces aériennes ukrainiennes. «Une des faiblesses du char, en terrain découvert, c’est la troisième dimension.» L'historien militaire Cédric Mas, dans l'article du Figaro, juge lui aussi déterminant le fait que les Russes ne possèdent pas la supériorité aérienne totale.
Devant de telles pertes côté russe, la question se pose: cet engin a-t-il encore une utilité? Marc Chassillan rappelle dans le journal français que cette interrogation n'est pas nouvelle: «Il y a toujours des destructions massives de tanks [lors des conflits modernes], immédiatement interprétées comme la fin de leur efficacité.» Selon lui, ces pertes sont inévitables s'ils sont mal utilisés. A l'inverse, ils peuvent être redoutables en cas de bonne coordination et commandement.
Mathias Tüscher détaille l'importance de ce véhicule militaire dans un conflit actuel. «L’avantage du char, c’est sa puissance de feu à longue distance (en règle générale 2,5 km – une nouvelle génération jusqu’à 4 km). Pour progresser à découvert dans des plaines, l’engagement de formations de chars est incontournable. Sa première fonction est de mener des attaques en profondeur sur un terrain ouvert. Mais une fois qu’il arrive dans une localité, cet avantage-là disparaît. Des armes anti-char à plus courte distance peuvent l’endommager ou le neutraliser.»
L'importance de ces fameux blindés se situe aussi au niveau des esprits, sur le plan symbolique.
«Tout en protégeant les troupes débarquées et engagées au sol, il est très impressionnant pour l’ennemi. Quand vous avez une compagnie de 13 chars, ça fait du bruit!» Un élément qui pèse, donc, dans un conflit important. «On a pu le voir par exemple ces dernières années en Syrie, en Irak, en Géorgie ou encore en Crimée.»
Selon le spécialiste, on aura donc toujours besoin de chars sur les champs de bataille. Mais pas n'importe lesquels. «Les réflexions qui sont actuellement menées, y compris en Suisse, c’est de savoir ce qui adviendra pour le remplacement des générations de chars qui iront au rancart en 2035. Une des options serait l’engagement de drones, le drone étant une technologie qui est indépendante de la présence d’humains. Arrivera-t-on à envoyer une compagnie complète dirigée par un seul homme? Voilà tout l’enjeu.»