«Il est comme un enfant rebelle de 9 ans, qui pousse toujours le verre vers le bord de la table, défiant ses parents de l'en empêcher.» William P. Barr n'en rate jamais une quand il faut esquinter l'ego «très fragile» de Donald Trump. Lorsque le candidat à la présidentielle a considéré publiquement que le Hezbollah libanais était «très intelligent», l'ancien procureur général a défendu l'idée que «ses compétences verbales sont simplement limitées».
Le milliardaire ne se laissera évidemment pas insulter sans répliquer. Dimanche, et en vidéo, il suggérait que Barr est «vexé» d'avoir été qualifié «d'idiot, faible, lent, léthargique, sans courage et paresseux» par le président Trump, lorsqu'il était à la Maison-Blanche.
Certes, les noms d'oiseau sont monnaie courante dans l'argumentaire d'un Donald en campagne. Le hic, c'est qu'il n'est pas seulement au pied d'une élection, mais sous une montagne de procédures judiciaires. Barr, loin de n'être qu'un énième «traître», pourrait témoigner contre lui dans l'affaire de tentative de renversement de l'élection de 2020. Toute insulte est donc prohibée.
Nous voilà au cœur du problème, car le timing est sournois. Quelques heures avant sa série de vitupérations à l'égard de son ex-proc', et après une semaine de liberté de parole, Donald Trump a de nouveau été bâillonné par la juge Tanya Chutkan, l'empêchant formellement de «cibler tout témoin raisonnablement prévisible et les employés du tribunal». Oups?
Donald Trump n'a pas tort, car tout s'est joué en quelques minutes. Mais le Washington Post rappelle non sans humour que son message, qui ressemble presque à des excuses, est ponctué d'insultes bordéliques à l'endroit du président Biden, du ministère de la Justice et de Chutkan elle-même. «Des commentaires qui ne violent pas le bâillon» tout juste recollé sur la bouche du principal intéressé. Mais... cet épisode prouve les difficultés de cet «enfant rebelle de 9 ans» à la fermer, quand maman Justice le lui ordonne.
Le problème, c'est que les enjeux sont gigantesques.
D'autant que le turbulent accusé s'est déjà ramassé deux amendes, de 5 000 et 10 000 dollars, pour avoir enfreint cette règle d'or dans le cadre de son procès pour fraude, lié à la Trump Organization. La première fois en insultant la greffière sur son site internet. La deuxième, devant le tribunal et les journalistes, avec des commentaires jugés tout aussi offensants. Pour l'heure, seuls des blâmes et des amendes lui salissent la cravate. Si à New York, le juge Engoron l'a déjà menacé de «sanctions plus sévères» en cas de récidive, à Washington, ses avocats attendent la réaction de la juge Chutkan.
Et la prochaine étape pourrait bien être le dodo en cellule, entre deux audiences. Si la patience de la justice a ses limites, certains adversaires considèrent déjà que Trump est un accusé privilégié, prétextant qu'un quidam aurait filé en taule pour moins que ça.
Comme vous le savez, Donald Trump base l'essentiel de son programme électoral sur le fait que l'Etat, la justice et l'establishment veulent le faire taire, perdre, mordre la poussière. Un argumentaire qui va donc de pair avec la critique, quasi ininterrompue, de ceux qui osent se mettre en travers de son chemin. Et vu le nombre de procès qui attendent le martyre autoproclamé, témoins, co-accusés et adversaires politiques commencent méchamment à se confondre.
Ce fut d'ailleurs le cas pour Mike Pence, avant qu'il ne jette l'éponge, faute de fric et de soutiens suffisants. L'ancien vice-président fut, l'espace de quelques mois, à la fois un adversaire en campagne et un témoin clé des événements du 6 janvier.
Mais nul besoin d'être candidat à la présidentielle pour causer du tort au camp Trump, une fesse dans la course à la Maison-Blanche, l'autre sur le banc des accusés. Comme William Barr, le général Mark A. Milley ou son ancienne assistante Cassidy Hutchinson sont aujourd'hui disposés à salir leur ancien mentor. Prisonnier des ordres de silence, Donald Trump est ainsi privé de son art favori, l'accusation et l'insulte, et risque de ne plus être en mesure d'assurer correctement sa campagne.
C'est d'ailleurs le propos de l'Union américaine pour les libertés civiles (ACLU), qui considère que «même si beaucoup de ce qu'il dit est manifestement faux et cause un grand préjudice, il conserve son droit de parole et les autres de l'entendre». Même ambiance du côté de l'un de ses avocats, John Lauro, qui s'appuie très fort sur ce très solide premier amendement de la Constitution:
Dans son entourage, on assure que Donald Trump essaie sérieusement de respecter les ordres de silence, mais qu'il «a du mal à se maîtriser». C'est non seulement stratégique, mais profondément émotionnel. William Barr n'a pas tort lorsqu'il égratigne «l'ego fragile» de son ex-patron. Ces dernières semaines, il est particulièrement bouleversé par la charge que la justice fait actuellement peser sur la Trump Organization et donc sur tout ce qu'il a construit, jusqu'à sa famille. Une famille qui doit d'ailleurs témoigner, un par un et dès mercredi avec le fils aîné, Donald Trump Jr.
La seule raison pour laquelle le patriarche tient à assister personnellement au procès, c'est son refus catégorique de voir son empire dynamité sans qu'il puisse se défendre. Le serpent qui se mord la queue? Yes sir! Car à mesure des témoignages de ses proches (menacés de parjure s'il minimise quoique ce soit), pas sûr que Donald Trump puisse résister longtemps avant de distribuer des crochets du gauche réthorique qui briseraient, une énième fois, ces satanées ordonnances de silence.
Au final, c'est un long bras de fer entre deux puissances qui s'est engagé. D'un côté, une justice qui n'aura bientôt plus que la case prison pour museler l'accusé et, de l'autre, un candidat à la présidence américaine qui utilisera sans vergogne son passage derrière les barreaux pour asseoir ses fantasmes de persécution. La dernière solution qui s'offre aux juges? Accélérer les procédures. Mais ce n'est pas gagné.