C'est une histoire folle. Et elle correspond parfaitement à l'Ukraine: une bande menacée par un adversaire surpuissant se dépasse, démontrant au monde ce que la solidarité et l'amour irrépressible de la liberté peuvent accomplir.
Il s'agit de l'Ofan, une armée de volontaires qui se bat intrépidement pour les Ukrainiens, les soutient et les assiste. Leur arme principale? L'humour noir.
Ce nom est bien sûr une allusion à l'Otan. Celui-ci se compose de 31 (bientôt 32) Etats membres européens et nord-américains qui s'engagent à s'entraider militairement. L'Ofan est également une alliance défensive, même si ses membres n'hésitent pas à passer à l'attaque et à semer la confusion.
Ceux-ci se battent pour l'Ukraine en prenant pour cible les propagandistes pro-russes et leurs mensonges sur Internet.
Entre eux, les compagnons de lutte se désignent comme «fellahs», ce qui signifie «copains». Et tous les fellahs du monde sont unis par la volonté de s'opposer de manière efficace à l'appareil de propagande de Poutine et à sa désinformation:
Solidarité et mèmes impertinents.
Quelque chose comme ça:
Au début, il y avait un petit chien de dessin animé. Un Shiba Inu, pour être précis. C'est un chien de chasse japonais. Depuis au moins 2013, son portrait est connu comme mème sur Internet.
L'idée des chiens de dessins animés est venue d'un homme originaire de Pologne, Kamil Dyszewski. Il a «bricolé» les premiers exemplaires sur son ordinateur et les a envoyés à partir de mai 2022 à des personnes pour les remercier de leurs dons en faveur de l'Ukraine et de ses défenseurs.
Il ne pouvait pas se douter qu'il allait ainsi créer un mouvement d'envergure mondiale.
Aujourd'hui, l'Ofan est composée de volontaires du monde entier. Leur nombre exact de membres n'est pas connu. Ils sont légion, pourrait-on dire en paraphrasant Anonymous. En réalité, ils seraient déjà plus de 30 000 membres.
La «fellah» la plus connue est la première ministre d'Estonie, Kaja Kallas. Et comme le sommet de l'Otan a été précédé pour la première fois d'un sommet Ofan, la femme politique a adressé un message officiel de bienvenue à la communauté mondiale.
Greetings to #NAFOfellas at the first-ever #NAFOSummit in Vilnius.#NAFO is a living example of how to disarm Russian disinformation with humour, intelligence and enthusiasm. Behind every Fella is a real person who believes in #Ukraine’s victory.
— Kaja Kallas (@kajakallas) July 8, 2023
Thank you for your service. pic.twitter.com/VWOkAe3udr
Sur les grandes plateformes de réseaux sociaux comme Twitter et Reddit, on reconnaît les soutiens de l'Ofan à un avatar de chien personnalisé.
L'Ofan l'a aidé quand personne d'autre ne le faisait. C'est ce que raconte Pekka Kallioniemi, un Finlandais, docteur en philosophie, qui fait de la recherche sur l'interaction homme-ordinateur à l'université de Tampere. Et sa spécialité: la désinformation russe.
Avez-vous déjà rencontré le hashtag #Vatniksoup sur Internet? «Vatnik» est un terme péjoratif forgé dans les anciens pays soviétiques pour désigner les personnes «qui suivent ou diffusent aveuglément la propagande russe».
Pekka Kallioniemi dénonce sur Internet les personnes qui prennent publiquement parti pour les criminels de guerre, minimisent la guerre d'agression russe et rendent hommage au dictateur Poutine. C'est le cas par exemple de Roger Köppel et de Daniel Ganser.
Dernièrement, Kallioniemi a pu démasquer, avec le soutien actif de la communauté de l'Ofan, l'un des plus grands comptes pro-Poutine sur Twitter. Derrière @Trollstoy88 (qui compte 115 000 followers) ne se cachait pas un Russe, mais un Allemand habitant près de Düsseldorf.
Au-delà de la guerre en Ukraine, Poutine s'en prend également aux démocraties occidentales et tente secrètement de déstabiliser les sociétés libérales.
L'Ofan est active à plusieurs niveaux, explique le chercheur finlandais Pekka Kallioniemi, dont nous avons déjà fait la connaissance ci-dessus.
Ce mouvement serait extrêmement efficace contre un style de propagande russe que Kallioniemi qualifie de «lance à incendie de la fausseté».
Il s'agirait d'une stratégie courante du Kremlin. L'objectif est de quasiment inonder l'ennemi (ici les sociétés démocratiques occidentales) de messages trompeurs et déstabilisants. L'analogie de la lance à incendie n'est toutefois pas de lui, explique-t-il dans un fil Twitter à lire (voir ci-dessous).
Retenons que les trolls russes sur Internet - qu'ils soient financés par l'État ou en mission privée - ne peuvent pas être contrés par des phrases intelligentes et des arguments valables. Car ils détruisent tout à coups de lance à incendie.
C'est pourquoi l'Ofan ne débat pas ou n'argumente pas, mais combat les mensonges par le shitposting.
C'est exactement ce que font les fellahs. Au grand dam de Poutine...
Le soutien de l'Ofan est très important. Les experts indépendants et les dirigeants politiques sont d'accord sur ce point.
Le journal américain Foreign Affairs a publié mardi un article sur les alliés extraordinaires de l'Ukraine. Les auteurs, trois chercheurs américains, dont un professeur militaire à l'U.S. Naval War College, reconnaissent les mérites de l'Ofan, dont la contribution offre de «nouvelles stratégies pour perturber ou compromettre les forces russes».
Comme l'Ofan s'appuie sur les efforts de la «société civile dans le monde entier», elle procure un avantage avec lequel Poutine ne peut pas rivaliser.
Et peut-être même plus que ça:
L'Occident doit reconnaître «l'influence considérable que des actions apparemment mineures d'acteurs non étatiques ont sur la guerre en Ukraine», concluent les auteurs de Foreign Affairs.
Le Kremlin et ses experts ont reconnu depuis longtemps que l'Ofan est un adversaire dangereux. Et c'est ainsi que les forces pro-russes tentent par tous les moyens de dénigrer le collectif Internet et ses membres.
Un incident récent prouve que les activistes dépassent parfois leur objectif. Lors du récent sommet de l'Otan à Vilnius, un requin en bouée est apparu sur les images de l'événement et a énervé certains Russes. Pourquoi?
Celui-ci fait référence à un mème qui a été diffusé mi-juin par un membre de l'Ofan. Un requin y est désigné «employé du mois», en référence à l'attaque de requin qui a coûté la vie à un touriste russe à Hurghada, en Egypte.
Là aussi, la communauté Twitter est intervenue, mettant en relation la ville ukrainienne de Marioupol (donc la photo de gauche) détruite par les bombes russes - un crime de guerre - et la blague douteuse sur le requin.
Le ministère russe des Affaires étrangères a vu dans cette polémique l'opportunité de calomnier l'Ofan. Le collectif a réagi avec une pluie de mèmes, de tous les goûts:
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)