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Pourquoi le Titan intéresse plus que le naufrage des réfugiés

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Pourquoi un sous-marin implosé nous intéresse plus que des réfugiés noyés

On reproche aux médias d'avoir accordé trop d'attention aux cinq passagers du sous-marin Titan et pas assez à l'horrible tragédie survenue en Méditerranée. Mais c'est moins la faute des médias que celle des lecteurs. Décryptage.
24.06.2023, 16:1924.06.2023, 17:20
Raffael Schuppisser / ch media
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Aussi différents que soient ces deux événements tragiques, ils n'ont cessé d'être comparés ces derniers jours: d'un côté, il y a les centaines de réfugiés – entre 300 et 650 – qui se sont noyés la semaine dernière alors qu'ils tentaient de rejoindre l'Italie depuis la Libye. De l'autre, les riches aventuriers qui voulaient visiter l'épave du Titanic à bord d'un sous-marin et qui sont morts lorsqu'il a implosé.

Les réfugiés, dont beaucoup sont originaires du Pakistan, ont risqué leur vie pour traverser vers l'Europe. Beaucoup ont dépensé toutes leurs économies pour une place sur un bateau de pêche bondé. Afin d'embarquer un maximum de personnes, toutes les mesures de sécurité ont été ignorées. Lorsque le bateau a pris l'eau, beaucoup n'ont même pas pu monter sur le pont. Il n'y avait de toute façon pas de canots de sauvetage.

Deux des cinq aventuriers du sous-marin sont également pakistanais: l'homme d'affaires Shahzada Dawood et son fils de 19 ans appartiennent à l'élite riche de leur pays. Un monde bien différent de celui des réfugiés.

Les 250 000 dollars qu'ils ont payés pour partir à l'aventure «titanesque» sont dérisoires pour des multimillionnaires. Ils n'ont pas risqué leur vie pour un avenir meilleur, mais étaient convaincus que lors de leur excursion au fond de l'océan, tout serait fait pour minimiser les risques. Apparemment, ils ont fait confiance à la mauvaise entreprise. Selon les médias, Oceangate faisait depuis longtemps l'objet de critiques en raison de problèmes de sécurité.

Lassitude et culpabilité face à un évènement unique

Deux tragédies, si différentes et pourtant similaires. Mais peut-on vraiment parler de tragédie lorsque cinq personnes riches plongent pour le plaisir vers le Titanic et n'émergent plus? Beaucoup estiment que non. Sur les réseaux sociaux, ils critiquent les énormes efforts déployés pour sauver les occupants tant qu'il y avait encore un espoir de trouver des survivants. Ils font référence aux 700 personnes en détresse, pour lesquelles l'aide est arrivée trop tard. Et ils s'en prennent aux médias, qui parleraient bien plus du sous-marin disparu que du bateau de réfugiés qui a coulé.

Ce n'est que partiellement exact, car les médias ont aussi largement parlé de la catastrophe des réfugiés la semaine dernière. Ce qui est vrai en revanche: le sous-marin disparu a beaucoup plus intéressé les lecteurs que le drame des réfugiés. C'est ce que montre l'énorme nombre de visites sur les portails en ligne, y compris sur celui-ci. Pourquoi cela?

Les psychologues parlent de lassitude, car cela fait des années que des réfugiés meurent en Méditerranée. Même la guerre en Ukraine n'intéresse plus autant qu'au début. On peut le déplorer, mais c'est un effet inévitable qui nous aide à résister aux tragédies.

Le philosophe et présentateur Yves Bossart, interrogé à ce sujet sur la SRF, évoque également notre sentiment de culpabilité. Nous pouvons observer la disparition du sous-marin sans nous sentir impliqués. Mais dans la crise des réfugiés, nous avons conscience d'être, avec la politique, en partie responsables.

Nous nous identifions plus à des milliardaires qu'à des réfugiés

Une autre différence réside dans la manière dont les deux tragédies ont été annoncées. Lundi, il a été annoncé que le sous-marin avait perdu le contact avec le navire d'accompagnement et qu'une opération de sauvetage était en cours, pour laquelle il restait au maximum 96 heures, la réserve d'oxygène étant limitée. Le monde entier a alors pu suivre les recherches quasiment en direct via les médias d'information. Cette situation initiale est difficilement égalable en termes de drame. En revanche, le bateau de réfugiés n'est devenu un événement médiatique qu'après avoir coulé.

La couverture médiatique du sous-marin, pendant plusieurs jours, a permis de s'identifier aux personnes dont on pensait qu'elles étaient peut-être enfermées dans une capsule quelque part sous l'eau, dans l'espoir d'être sauvées. Si l'on avait su qu'ils étaient morts depuis longtemps, l'histoire aurait été rapidement terminée et l'intérêt n'aurait pas été si fort.

Mais les milliardaires sont probablement des figures d'identification plus évidentes pour nous que les réfugiés. Nous ne pouvons pas imaginer à quel point il est difficile de quitter son pays et de risquer sa vie pour une traversée vers l'Europe. Mais nous pouvons aisément imaginer que nous nous retrouvons dans des difficultés mortelles lors d'un voyage d'aventure que nous pensions être sans danger. La raison n'est donc pas la couverture médiatique, mais notre capacité d'empathie. Ce n'est peut-être pas une constatation réjouissante, mais c'est une constatation honnête.

Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder

Plus de photos du Titan, le sous-marin disparu dimanche
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Plus de photos du Titan, le sous-marin disparu dimanche
Le sous-marin Titan a disparu dans l'océan Atlantique.
source: oceangate
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